À propos de la dernière polémique pseudo-féministe et raciste sur le quartier Pajol – La Chapelle, et ses “hordes de jeunes hommes réfugiés islamistes venus de contrées barbares qui interdisent la rue aux femmes”.
J’ai grandi dans ce quartier, de Barbès à Stalingrad, de Clignancourt à Crimée. J’en ai pas mal des choses à raconter. Je pourrais parler de l’appui que représentent certaines de ces bandes de mecs qui te voient passer tous les jours dans ces même rues, et qui seront sûrement les premiers et les seuls à se bouger si ça part en cahuète avec un type chelou ; là où les bourgeois qui traînent à la brasserie Barbès et se mobilisent contre les salles de consommation à moindres risques vont juste se précipiter pour fermer leur double-vitrage.
Je pourrais aussi parler de ce qui se passe dans la tête d’une jeune fille mineure avec une tête assez babtou mais dont la mère est arabe, seule, et devant cacher qu’elle n’a pas de ticket, face aux remarques salaces de cinq CRS en armures bloquant la sortie du métro Barbès à deux heures du matin. De cette terreur qui noue le bide et qui fout la rage mais qui fait que, galérienne, tu vas limiter et adapter tes déplacements par crainte.
Ce que disent les articles comme celui du Figaro à toutes les meufs qui ont ce type d’expériences à cet endroit, c’est qu’en fait osef de nous, parce que c’est normal que des meufs comme nous ça apprenne à la dure à se tenir de manière civilisée, à bien entrer dans le rang républicain et à raser les murs. C’est évidemment plus légitime comme brutalité et moins monnayable médiatiquement que “bonsoir mademoiselle” prononcé par un jeune arabe obligé de traîner dehors. Il y a des priorités, voyez.
La différence à mes yeux, c’est qu’en ne comptant que sur moi-même, je peux tenter, si je le sens et le décide, de recadrer un mec de dix-huit piges qui veut mon 06. Mais je devrais toujours louvoyer pour ne pas me faire écraser sous la botte des keufs. Des contrôleurs et des patrons aussi, mais je m’égare.
Je pourrais évoquer également la manière dont, régulièrement, des dispositifs policiers d’envergure prennent en tenaille des zones entières en effectuant des descentes, station par station, hall par hall, de cabane en carton en squat dans un garage, et comment tout ce monde se retrouve confiné sur quelques trottoirs autorisés sans bouffe ni couvertures pendant des semaines, à la merci des dealers de crack. Jusqu’à ce que ça se stabilise un tout petit peu en réseaux d’organisation autour de quelques repères collectifs, et que le dispositif policier repousse tout le monde dehors plus loin comme un bulldozer. C’est un ensemble de violences sociales traumatiques aux répercussions destructrices sur les plus fragiles, un désastre sanitaire brinquebalé à coup de matraques de zone en zone au rythme des agendas de la préfecture et de la municipalité.
Évidemment comme d’hab c’est les meufs et les jeunes qui paient le plus cher l’addition de ces violences. Les racistes qui s’obstinent à présenter le problème comme un « choc de cultures » et tentent d’instrumentaliser des critiques féministes pour assouvir leurs ambitions bourgeoises et sécuritaires vont devoir s’attendre à ce que ça nous rende méchant*es.
V., groupe Orage
I

Quatre visages ouvrant de grand yeux, au feutre fin noir dans un grand tourbillon de peinture rose entouré de vaguelettes bleues.
Illustration par N.O.