J’ai porté plainte pour viol il y a cinq ans, en juin 2009. Vous pouvez lire mon récit étendu dans le témoignage “Respect“, dans lequel est détaillée l’agression. J’ai tenu à partager ce texte, initialement écrit il y a trois ans et retouché ces jours-ci, afin d’encourager tous ceux et toutes celles qui ont un jour subi cet acte immonde .

J’ai longtemps regretté d’avoir déposé plainte : comme vous allez le lire, ça a été un véritable parcours du combattant, et ce n’est pas terminé. Aujourd’hui, je pense qu’il était vraiment nécessaire de le faire, mais en juin 2009, si ma mère – à qui je venais de raconter ce qui m’était arrivé – ne m’avait pas suppliée pour déposer plainte, je ne l’aurais pas fait. Dans ma tête à ce moment-là, je m’étais juste trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, avec la mauvaise personne. Tant pis. On se relève, on ferme sa gueule, on souffre en silence, et on continue à marcher, sans personne pour nous aider, sans personne pour nous tenir. D’une certaine manière, c’était ma manière à moi de me protéger. Je me répétais mille fois par jour que j’étais immortelle, et que si j’avais passé les dix dernières années à avoir envie de mourir, je voulais désormais aller de l’avant et briser toutes les chaines qui me retenaient dans la fange.

 Voici donc comment ça s’est passé :

Premier contact dans un commissariat, quatre jours après les faits, accompagnée par ma mère. On me donne un rendez-vous pour porter plainte et pour être auditionnée quinze jours plus tard. Quinze jours. Allô les gens ! Il s’agit d’une question de survie, là, pas d’un objet perdu ou d’une insulte dans la rue !

Second contact le même jour dans une brigade de gendarmerie. Bon accueil, mais je n’ai pas eu le choix, malgré ma demande, de parler à une femme. Je n’ai pu avoir à faire qu’avec un interlocuteur masculin. Heureusement, il a géré.

Les gendarmes m’envoient aux urgences pour un examen et des tests de dépistage. Je suis sommée d’expliquer à haute voix les raisons de ma venue à une standardiste bouchée. J’ai eu autant l’impression de m’adresser à elle qu’à la salle d’attente toute entière, juste derrière moi. Après trois heures d’attente, un médecin vient nous voir, et, passablement énervé, nous envoie paître en nous disant qu’on est pas dans un dispensaire et que ce n’est pas le lieu pour faire ça. Pas de dépistage à l’hôpital, donc. On retourne à la gendarmerie, et je suis emmenée sous escorte dans un laboratoire d’analyses où on me fait enfin les prises de sang nécessaires.

Le dossier est transmis de la petite brigade à la gendarmerie de la préfecture. La prise en charge est efficace. Les gendarmes récupèrent les vêtements que je portais le jour de l’agression pour les mettre sous scellés et les envoyer au labo. On est plus ou moins à une semaine du viol, heureusement que je n’ai pas eu l’idée de laver les-dits vêtements…

Les gendarmes m’accompagnent chez un médecin légiste pour un examen physique. On a parlé de GHB, auquel mon agresseur était soupçonné d’avoir eu recours à ce moment-là de l’enquête. Il m’a demandé de me déshabiller mais ne m’a pas touchée, sous prétexte que comme les faits dataient de plusieurs jours, il ne pourrait rien trouver. Trois ans après, j’ai toujours des problèmes physiques liés à cette agression… Cette absence d’examen n’a jamais été notée dans mon dossier, où il est écrit que j’ai été examinée et qu’AUCUNE trace d’agression n’a été relevée. Ce jour-là, j’ai réalisé clairement qu’on allait peut-être mettre l’agression en doute si on avait pas de preuves concrètes et matérielles.

Un gendarme me coupe des mèches de cheveux pour des examens toxicologiques plus approfondis que les prises de sang réalisées plus tôt, toujours en cours d’analyse, afin de trouver avec quoi j’ai été droguée. Il faut savoir que lors de la recherche de stupéfiants, seuls certains produits les plus courants – comme le GHB évidemment – sont testés. Les analyses toxicologiques effectuées ne donneront aucun résultat, et à ce jour la circonstance aggravante ne sera pas retenue sur ce point. Pourtant je reste persuadée que mon agresseur a utilisé quelque chose. Ça ressemblerait à un surdosage de somnifères ou à de la kétamine, mais… aucune preuve. Si je n’avais qu’une seule réponse à obtenir de mon agresseur, ce serait à ce sujet.

Le dossier est transmis au commissariat de la ville où se sont déroulés les faits, (dans la même région mais pas le même département). Premiers rendez-vous catastrophiques dans ce commissariat.

Je me retrouve dans un bureau avec une femme pour répéter une énième fois et dans tous les détails ce que j’ai vécu, alors que tout est écrit clairement dans ma déposition. Mais non, il faut encore parler. Sauf que les trois portes du bureau sont ouvertes, des policiers passent en permanence devant nous, j’ai beaucoup de mal à parler, je me sens atrocement mal. Je me sens seule, disséquée, ouverte, je n’ai droit à aucun soutien, aucune parole réconfortante. Tout est froid, administratif.

La policière qui m’écoute me dit que la résolution de l’affaire prendra plus de temps que prévu parce que la brigade des mœurs est sur une affaire de proxénétisme qui les occupe pas mal ces temps-ci. Je ne vois pas le rapport, je vais de plus en plus mal, je comprends bien que ça va être très compliqué, mais je tiens bon quand même. A cette période, pour la première fois, j’envisage de retirer ma plainte.

Six mois plus tard, on m’annonce par téléphone que les pièces à conviction (mes vêtements, donc) ont été perdus lors du transfert avec la brigade de gendarmerie du département dans lequel j’ai porté plainte. Ça n’a l’air d’affoler que moi. On ne les retrouvera que plusieurs mois plus tard, fort heureusement car les analyses permettront de trouver l’ADN de mon agresseur, détruisant son principal argument selon lequel il affirme ne m’avoir jamais vue. Première bonne nouvelle, plus d’un an après les faits.

Janvier 2011. Convocation au commissariat pour reconnaître mon agresseur derrière une vitre sans teint. J’apprends que pendant l’année et demie qui s’est écoulée depuis les faits, mon agresseur n’a JAMAIS rencontré le moindre policier, et n’a jamais su que j’avais porté plainte. Il aurait pu disparaître dans la nature, partir à l’étranger, ou pire, recommencer mille fois et détruire mille autres vies, mais ça ne semble poser de problème qu’à moi. C’est la procédure habituelle, il parait. Soit.

Je me rends à la convocation avec une amie. Je reconnais formellement mon agresseur derrière la vitre sans teint parmi les trois personnes que l’on me présente. Première fois depuis le viol que je le revois. On a beau être forte, ça fait vraiment bizarre quand même. Je suis étonnée de ne ressentir aucune haine, aucune soif de vengeance. Ce n’est que de moi dont il est question, donc ce n’est pas bien grave. En revanche, si il avait violé quelqu’un d’autre, j’aurais été capable de le tuer.

Je me rends dans un bureau avec mon amie et une policière qui me dit que je vais rester là un moment parce que l’agresseur, accompagné de son traducteur (il parle mal le français), doit voir plusieurs personnes et va donc circuler dans les bureaux, à quelques mètres de moi. On a beau être dans un commissariat, ça ne rassure pas vraiment.

Un quart d’heure après, je peux enfin sortir. Entre le bureau et l’ascenseur, j’ai trois mètres à parcourir, mais ça suffit quand même pour le croiser. Il passait devant le bureau au moment précis où je suis entrée dans l’ascenseur. Je l’ai vu, il m’a vue, et le regard incrédule qu’il m’a lancé alors m’a subjuguée. Il m’a reconnue, c’est certain, mais il avait l’air serein, comme si il n’avait rien à se reprocher. Toute tremblante, je retourne dans le bureau, et je dis à la policière que je viens de le croiser. Ça ne l’émeut pas plus que ça, ce sont des choses qui arrivent, de toute façon je ne crains rien. Oui mais bon, quand même !

On me confirme que mon agresseur va être placé le soir-même en détention provisoire dans l’attente du jugement. J’apprends par téléphone quelques jours plus tard que le juge n’a pas jugé la détention provisoire nécessaire, et que mon agresseur se balade en liberté dans la ville. J’aurais pu le croiser mille fois alors que je le croyais hors d’atteinte. Il est libre de recommencer à violer, en tout cas jusqu’à la suite de la procédure.

Entre temps, la juge d’instruction qui devait s’occuper de ce dossier et pour qui, selon l’avocate que les policiers m’ont attitrée, n’a aucun doute sur la culpabilité de mon agresseur, est mutée et est remplacée par une nouvelle juge en 2012, et l’avocate m’annonce que mon dossier a probablement été remis en bas de la pile, comme ça arrive souvent dans ces cas-là. Puis plus rien pendant des mois…

Aux dernières nouvelles, en juillet 2014, il a demandé à changer d’avocat, et a soudainement adopté un comportement complètement différent : il reconnait avoir eu un rapport avec moi, mais prétend que j’étais consentante, alors qu’il niait fermement depuis cinq ans m’avoir jamais vue. Il est revenu sur sa déposition, et a prétexté que, le soir du viol, je n’aurais “pas trouvé le moyen de rentrer chez moi”, que je lui “aurais demandé de m’héberger”, et qu'”après avoir pris une douche, c’est moi qui serais venue vers lui”. Je rappelle juste au cas où que, depuis les cinq années que dure la procédure, il a toujours nié m’avoir déjà vue. Il prétendait ne pas savoir ce qu’on lui reprochait, il a soutenu que son ex-femme aurait cherché à lui causer du tort par mon intermédiaire, mais les examens psychiatriques auxquels nous avons tous les deux été confrontés ont décelé chez lui un sentiment de persécution de la part de toutes les femmes. C’est le bourreau qui se persuade d’être la victime, comme bien souvent. J’ai également appris qu’il avait déjà été condamné suite à une plainte de son ex-femme – alors enceinte de lui – pour coups et menaces de mort. Peut être que tout ça aurait pu encore plus mal se finir, finalement…

Je ne sais pas si les circonstances aggravantes seront retenues, mais je le souhaite ardemment : même si l’usage de stupéfiant n’est finalement pas prouvé, j’ai passé une nuit séquestrée chez lui et même si j’avais été en pleine possession de mes moyens je n’aurais pas pu partir…

Je n’ai pas d’inquiétudes : toutes les chances sont de mon côté, et je sais que personne ne remet ma parole en doute. Le procès aura lieu devant la cour d’assise en 2015, sans doute, ou peut-être plus tard encore. On verra.

M.

Illu - ACCORDS ET A CRIS BD

Illustration par M.

Le Scriptorium d’ISHTAR