Parce qu’au féminin se décline le désir d’être dans un infini de possibles et qu’il arrive encore à quelques cœurs d’espérer qu’à l’entour, malgré les horreurs et les peines, l’amour ne s’essouffle jamais. Parce qu’au féminin le verbe exister cherche à s’apprivoiser et à se conjuguer à tous les temps, jusqu’à s’imposer à l’impératif puisqu’il faut être percutant. Parce qu’au féminin se chérit, pour beaucoup (mais pas toutes), ce statut porteur de grâce, de douceur et d’espoir aussi, surtout, avec l’avenir qui prend la forme d’un ventre rond et plein. Et parce qu’au féminin se noircissent ces belles images et s’éteignent ces mots de poésie quand la violence entre dans la danse. Il est question ici de ce sujet, trop abject et condamnable, qui vient chercher là où il est impossible de lui trouver de salut… Ces hommes-là et la violence faite aux femmes.

          Je parle au nom des femmes concernées, sinon au nom d’une femme –puisqu’une seule victime suffit à dénoncer. Elle qui a constaté et qui a subi. Elle qui a cherché à comprendre, à trouver un écho à ses charges intérieures, à tarir sa peine et sa colère, pratiquant par là même toutes les émotions praticables à cet égard. Elle qui a parcouru et décortiqué les témoignages de femmes blessées comme les discours des révoltées –féministes pour certaines. Elle qui a repéré dans l’anonymat de ses lectures, les insurgé(e)s, les frustré(e)s, les indifférent(e)s et ceux et celles qui tirent à bout portant à grand coup de banalisation. Elle, encore, qui a noté l’insurrection de ces autres hommes qui disent ne pas être de ce bord-là et qui se voient pourtant, injustement sûrement, soumis à l’échafaud sur la place publique. Une place publique, somme toute, si peu attentive. Que ceux-là se rassurent donc, quand bien même ils n’ont pas matière à craindre pour leur image tant le sujet ne passionne pas les foules, nous savons qu’il en existe des comme eux, encore emplis de tendresse et d’attention, habillés d’une virilité vibrante et respectable. Des hommes qui séduisent sans heurter et qui portent la vie dans un souffle. Un réconfort. Oui, nous savons qu’il en existe des comme eux, incapables de faire usage de la violence envers une femme. Mais la question demeure : de quoi sont-ils capables pour lutter contre ? À la reconnaissance de l’incapacité de, ne vient pas signer la dé-responsabilisation généralisée.

          Il y a donc ces hommes-là et la violence faite aux femmes. Cette violence, qu’elle soit physique, verbale, sexuelle… et la culture du viol qui l’alimente. Elle qui s’étale, se montre, puis se dénonce, trop discrètement encore, à même les lèvres de celles et ceux ayant un cœur et une raison qui s’écoutent et se considèrent mutuellement. Elle, infâme, qui se déploie telles des balles lancées à grande volée. Des balles tirées à distance comme à bout portant à travers la vie, pour aller provoquer la mort. Des balles tirées en tous sens et en tous lieux, qu’importe les milliers de cœurs qu’elles vont faire éclater dans un silence étourdissant. Parce que la honte s’empresse toujours de déguiser la scène et renverser les rôles des protagonistes. Parce qu’au-delà des maux du corps et du cœur, c’est au silence opaque qu’elle impose, comme si, trop souvent encore, la souffrance devait rester anonyme malgré l’envie de dire. Des balles, et dans leur suite, des plaies béantes qui se soignent mal. Des balles, et à la réception, des femmes meurtries à tout jamais. Des balles. C’est assourdissant, n’est-ce pas ?

          Qui pour recevoir cette parole qui se cherche si longtemps ? Dans l’intime, les blessures héritées de ces agressions sont à peu près réparables, des sparadraps sont mis ici et là, des reconnections à la vie s’établissent timidement, parfois… mais nous savons que c’est très souvent l’opinion d’autrui qui précipite la culpabilité et la douleur, et ce bien plus que la réalité elle-même. Et quand cette opinion dénie sciemment la réalité justement, quand cette opinion trouve des excuses bancales et qu’elle entretient le vice malgré elle, à quoi s’accrocher ? Comment avancer ?

          Il y a donc toi, que l’on appelle « homme », par convention faut-il bien l’avouer considérant les circonstances. Tu te présentes, fier, à démonter l’étendue de ta force. Il est connu que l’on a jamais lieu de s’assurer de celle que l’on a que si d’un côté comme de l’autre, les difficultés ont surgit en nombre. Et au plus la tâche s’illustre ardue, au plus le torse se bombe et le poil se brosse dans le bon sens. Mais alors quelle valeur accorder à l’élan simplifié de s’en prendre à une personne physiquement plus fragile ? La difficulté demeure ici cette capacité à se déshumaniser sans autre forme de procès. Et voilà donc que ta force, incapable de se rendre à la discrétion d’autrui –sinon quel regard lui accorder ?-, passe à l’épreuve. Et voilà que la femme au mauvais endroit au mauvais moment, est condamnée à vivre ce qui la rendra à jamais malheureuse. Mais le fait est qu’il ne devrait pas y avoir de mauvais endroit, autant qu’il ne devrait pas y avoir de mauvais moment. C’est une question de liberté. Mais tu t’obstines, imposant, répugnant, à user de ce que tu aimes à considérer comme étant de la puissance pour laisser croire en une domination masculine. Tu penses, à tort, que l’emprise, les coups, les paroles et les gestes abjects signent pour la supériorité d’un genre. Et finalement, qu’en est-il du résultat de tes assauts ? L’humanité tachée de sang. De coups, en ecchymoses à la réception. De regards et de paroles salaces, en honte injustifiée à la réception. De gestes et de contacts dégueulasses, en culpabilité tout aussi injustifiée à la réception.

          Il y a toi, puis elle, et entre vous, l’ampleur de ton manque de contrôle, l’opulence honteuse de ton impuissance, et en définitive, ta faiblesse qui frappe de toute sa superbe. La faiblesse de te soumettre à l’objet même de ta domination. N’est-il pas vrai qu’à vouloir dominer la femme à répétition, tu t’attaches à elle, et que, somme toute, c’est elle qui te domine dans ce qu’elle représente et te permet d’obtenir de plaisir et/ou d’assouvissement ? L’affaire est tout de suite moins reluisante, n’est-ce pas, ô toi l’homme fort ?

          Il y a elle, puis toi, animé de cette pulsion de mort que tu te retournes, finalement, en parfaite autodestruction, puisque tu détruis ce qui t’aide à te construire et à te définir. N’est-il pas vrai qu’en blessant une femme, tu blesses la vie, froisses l’avenir, et qu’en réalité, c’est aussi toi que tu meurtris ? Toi et ton identité. Parce que la femme est, elle aussi, à l’origine même de ton existence, et que c’est elle aussi qui permet de poursuivre ton histoire en donnant la vie à celle ou celui que tu regarderas fièrement et que tu voudras voir grandir, ton enfant. La femme, ta complémentarité autant que ton égal. La femme, cet alter essentiel que tu mutiles pourtant sans gêne. Alors que te dire, sinon d’aller pleurer ta médiocrité dans l’anonymat de ton cerveau vacant ? Que te dire sinon d’aller te racheter une dignité et cette part d’humanité dont tu t’es délesté depuis
que tu as posé ta haine sur elle(s) ?

          Et j’en veux à tous, moi comprise, de laisser parfois croire au vu de la difficulté de changer les choses et malgré les tentatives de plus en plus acérées de rébellion, qu’il en est ainsi, et qu’il n’est de réel moyen de lutter. Parce que nous sommes là, avec nos corps de femmes, à la merci de ces hommes-là qui ne savent plus comment exister sinon à travers la violence et l’emprise. Des hommes qui ont perdu le sens de la vie, et qui, trop paresseux et démunis, se chargent de détruire à défaut d’avoir la capacité à construire. Nous en sommes là, toujours là. Mais autant que les voix s’élèvent, nous –concerné(e)s de prêt comme de loin- continuerons à faire partie de celles qui s’insurgent et qui ne s’essoufflent pas dans ce combat où nous apprenons doucement à nous forger des armes, hautement plus fines et intelligentes, et à nous en servir. Et j’espère, naïvement peut-être, que ce message, comme il en existe tant d’autres, trouve quelque part un écho. Et si seule une petite poignée d’hommes, comme de femmes, prend conscience que cette lutte en va aussi de leur responsabilité, de leur attitude au quotidien, de l’éducation qu’ils daignent donner à leurs enfants comme à ceux qui ne sont pas les leurs, ce sera déjà une belle avancée.

           Alors, parce qu’on ne le dira jamais assez fort, aimez vos fils, aimez-les assez pour les ouvrir à leur part sensible et au langage du cœur qui considère l’alter comme digne d’être estimé. Donnez-leur le courage de conquérir au lieu de se contenter de penser qu’ils disposent de. Donnez-leur le courage de s’aimer et d’aimer autrui. Puis dites à vos filles qu’elles sont précieuses, et qu’aucun homme n’a à leur dicter comment vivre et quoi penser. Dites à vos filles qu’elles sont rayonnantes et que leur corps leur appartient, que nul n’a le droit d’en disposer sans leur accord. Dites-leur qu’elles ont le droit de dire non, de se défendre, d’avoir de l’ambition et de se donner les moyens de parvenir à leur fin, au même titre que le ferait un homme. Dites-leur que le monde a besoin d’elles pour continuer de tourner, et qu’elles ne doivent jamais en douter. Dites-leur surtout qu’elles sont égales à l’homme et que c’est main dans la main qu’elles pourront construire l’avenir, dans le respect mutuel. Dites-le leur dès leur plus tendre enfance pour tordre le cou au patriarcat plaqué de génération en génération, même si plus insidieux aujourd’hui. Oui, vous qui n’êtes pas de ce bord-là, dites-leur.

          Et j’aime à penser qu’un jour, le respect trouvera sa place au cœur de la raison collective, et que l’on en aura fini avec ce besoin d’imputer à même la vie la notion de supériorité autant que celle d’infériorité, et ce, quelle que soit la dimension humaine considérée.

 

Cécile L.

https://ecrireetquecasauve.wordpress.com

Dessin au feutre et crayons de couleur : au centre un grand rectangle noir devant lequel pose un couple, homme et femme noir-e-s, avec un petit chien blanc. Au-dessus de leurs têtes, un oiseau coloré les survole, une branche dans le bec. Iels portent des vêtement colorés, elle un éventail et lui un grand sabre. Autour du rectangle, des rochers avec de petites taches colorées un peu partout.

Illustration  par  N.O.