Cela fait à peu près depuis le mois de septembre que j’experimente le polyamour.
Je connais ce mot depuis bien plus longtemps pourtant.
J’ai pris connaissance du concept de « polyamour » bien avant que je prenne connaissance des termes « cis » et « trans » qui ont changé ma vie à tout jamais.Au début, j’étais méfiante pour plein de raisons :
– Mes exemples de polyamour ne me faisaient pas très envie : il s’agissait d’un mec cis hétéro de l’époque, tu sais, le genre de mec cis hétéro pro fem qui ne peut pas être mysogine parce que sa meuf est féministe, le genre de mec cis hétéro qui te baratine tout le temps sur les mêmes histoires et t’explique comment il faut faire les choses, le genre de mec cis hétéro qui te dit qu’il ne peut pas être offensif sur les questions de relations non-straight parce qu’il a déjà baisé un gars. –> Ah oui ok, le mec cis hétéro profem typique de gauche, excusez moi ^^.
– Le préfixe -poly sonnait trop néolibéral à mon goût (je trouve trouve encore ce mot mais je l’utilise faute de mieux pour le moment).
– Logiquement, je me disais que ça ne pouvait être qu’à la portée de personnes qui ont le privilège d’avoir le temps pour ça.. Je procèdais sur ce point par syllogisme sur le polyamour : si la relation exclusive demande autant de temps, autant de dépense d’énergie pour UNE personne, qu’est ce qu’il en serait pour PLUSIEURS, comment organiser mon TEMPS, comment ne pas être ETOUFFÉE par tout cela ; si ça me demande autant de temps alors a + b m’en demanderait encore plus. Comment est-ce que je m’en sortirais et quelle serait ma place dans tout cela ?
Je me souviens, mon premier (et unique, pour le moment) café poly fut une catastrophe : j’étais intimidée et au placard cis hétéro (c’est important pour comprendre ce en quoi j’étais intimidée) et je voyais des gars (straight, pour la plupart) qui parlaient beaucoup. L’effort de socialisation était tel que ça m’a énormément fatiguée. Je suis rentrée, hyper déçue, pensant que j’aurais eu affaire à des gen* éclairé* type L’Amour Fou à la Breton (grande lyrique que je suis), au lieu de cela je voyais beaucoup de personnes de classes moyennes dont certain* juraient par le libértariannisme [sic].
Je n’étais donc pas spécialement emballée et finalement, les questions de classe commençant à ce moment-là à devenir centrales pour moi, j’ai abandonné. J’ai abandonné mais au fond, je me trouvais surtout des excuses pour ne pas aborder le pourquoi du comment ça me dérangeait plutôt que de me poser les bonnes questions sur le « contexte » (terme que j’emprunte à Dorothy Allison dans son essai Peau).
Rétrospectivement, je peux maintenant en parler : comme je le disais avant, je viens d’un milieu ouvrier. Mes parents sont évangélistes, toujours ensemble et j’ai grandi dans le fin fond d’un villages alsacien de bonne droite, voisin d’un autre village connu pour sa forte population de boneheads (oui, on s’amusait comme des folles là-bas et si tu veux un apperçu de ce que j’ai pu vivre, je t’invite à lire Les oranges ne sont pas des fruits de Jeanette Winterson, de le croiser légèrement avec American History X pour les boneheads, en prenant en compte le contexte différent puisque je ne suis pas une meuf cis et que je n’ai pas vécu aux USA).
J’ai subi des tortures psychologiques, du bourrage de crâne, du bullying et de la maltraitance. Je n’ai pas eu la chance d’accèder au terme « trans » si ce n’est que sous celui de la moquerie propre aux films, série télé et celui de la condamnation à la damnation éternelle. En résumé, je suis une meuf qui traine derrière elle beaucoup de traumas, de peur de l’abandon et qui vient de très très très très très loin…
Je suis donc passée moult fois par les case « je ne suis pas normale » et « ce monde est insatisfaisant, je n’ai jamais souscrit à y vivre », j’ai hérité pendant très longtemps du syndrome du « sacrifice » propre à mon histoire familiale et du fait de l’enseignement évangeliste, celui du sauveu*: de croire qu’un jour quelqu’un* pourrait me sauver et prendre soin de moi comme je le mérite, réparer ce qui a été brisé (c’est-à-dire beaucoup de choses) ou inversement.
La première vérité qui a été très dure pour moi, c’est qu’il n’y a personne pour sauver personne, qu’il faut plutôt se méfier des personnes qui se placent dans le rôle du sauveu* : j’étais donc seule avec moi-même et je devais absolument faire quelque chose de cette solitude mais entre temps, tu imagines bien le nombre de relations toxiques que je me suis coltiné.
La deuxième était que je ne pouvais pas faire comme si de rien n’était, prendre mon passé et l’enfermer à double tour dans un coffre, l’enterrer, recouvrir l’endroit de ciment en espérant que les voix dépreciatives dans ma têtes se tairaient.
La troisième, et la plus importante à mon avis parce qu’elle englobe quasiment tout le fond du problème, c’est que je n’avais jamais appris à dire NON. Autrement dit, il y a plein de situations auxquelles j’ai consenti dans ma vie, plus par incapacité de dire NON que par consentement.
J’ai donc dit non à ma famille.
J’ai dit non aux relations toxiques.
J’ai dit non aux voix dépréciatives.
J’ai dit non à toutes les personnes qui ont tenté de me sauver.
J’ai dit non à l’expropriation de mon temps.
Il n’y aucune relation de quelque sorte que ce soit qui puisse être saine et épanouissante si on ne sait pas dire NON.
Dire NON m’a permis de savoir aussi ce que je voulais et très honnêtement, je n’ai jamais voulu l’exclusivité même si je l’ai beaucoup joué parce qu’à long terme, ne sachant pas dire NON, je devenais trop dévouée à la personne, abandonnée complètement au point d’y laisser mes os tout en ayant une trouille bleue que la personne parte, de tout faire pour qu’elle reste, au point de vraiment me mettre dans des situations très dangereuses sur le plan psychologique.
Et donc le polyamour. Eh bien, pas que le polyamour mais le polyamour queer : j’ai changé tout bonnement de paradigme.
Où la notion de temps n’est plus la même, où ton temps n’est pas gêré selon le temps d’une autre personne ou inversement, où ton temps n’est plus marqué par la binarité selon ton temps à toi et le temps de l’autre personne, où tu peux avoir le temps de déterminer ton temps et pourquoi, où le temps n’est plus linéaire, où ton temps est marqué par des moments de pause, où la discontinuité ne fait plus peur parce qu’elle fait tout simplement partie de la vie, parce qu’il n’y a absolument rien de logique à se faire disponible à l’autre à tout moment.
Où il n’y est plus question d’addition mais de multiplication.
Cette relaion avec un* tel* est multipliée par cette relation avec cet* autr* qui est multipliée avec cette amitié avec tel* personne qui est multipliée avec mon rapport à tel* écrivain*, tel* musique.
Et ce qui est chouette là-dedans, c’est que ces multiplications sont qualitatives, elles me multiplient, m’augmentent dans mon rapport aux êtres, au monde, aux choses (oui je suis dithyrambique, mais il y a très honnêtement de quoi !).
J’ai plus de temps pour moi (temps nécessaire pour l’écriture et la recherche) et rien n’est grave, tout se discute se négocie et ce dans le respect des limites des autr* personnes.
Bon, dit comme ça, ça a l’air super simple, ça a l’air oui, mais en vrai, je ne vais pas te dire que parfois, tout ça ne me fait pas angoisser, que ça n’éveille pas des insécurités, qu’il n’y a pas des moments où c’est assez compliqué de dealer avec les absences et les silences (surtout quand l’indisponibilité de tou* coïncide) alors on apprend à être seul* et avec difficultés à faire de cette solitude une richesse et non pas une situation qu’on subit.
Je me souviens de ce poème de Khalil Gibran dans Le Prophète où il parle d’amour qui fait croître eh bien, je n’ai jamais pu trouvé de possibilité de croître à l’intérieur de relations exclusives ; toujours définie et enfermée selon les termes de ma relation avec la personne, toujours cette sédentaire que décrit Barthes dans Les fragments d’un discours amoureux, où l’amoureu* est sédentaire, en attente et l’aimé* est nomade, mobile et libre.
Horreur de l’amour mono straight enfermante
Horreur de l’assignation à un rôle qui nous transforme en personnes insupportables pour soi et pour les autr*
Horreur d’une définition d’un sentiment fort et puissant, l’amour, en quelque chose. d’étouffant, sans autre horizon aucune qu’une attente affamée
Moi, j’ai décidé de me laisser la possibilité de choisir ma faim
Je me destine, j’erre, je me perds, je me trouve, je prends d’autres chemins
Je n’ai plus d’espace assigné , je suis à la croisée
À la rencontre, joie de la sérendipité
et partager tout ça.
Ne plus avoir peur d’avoir peur
les yeux tournés vers l’horizon
et penser aux gen* que j’aime
à cel* que je n’ai pas encore rencontré*
Leur écrire et aimer leur écrire
Ce sont maintenant d’autres voix que j’entends
Polyphonie pré-tonale
Expension des sentiments
Ne plus avoir peur d’avoir peur
Avoir et prendre mon temps.
Lou Hanna
https://bottomprincess.wordpress.com/

Dessin au feutre sur feuille blanche : carte à jouer de la reine de pique mais l’image est très abstraite, mélange d’arabesques, de cercles et de visages bleus, verts et roses superposés entres les bulles.
Illustration par Eug’ Péron-Douté