Je porte cette histoire depuis deux ans. Une histoire assez banale d’avortement. Une histoire qui m’a meurtrie parce que je ne croyais pas qu’on traitait les femmes de la sorte dans des services dédiés à l’IVG. Je suis encore choquée par ce que j’y ai vécu.
 
J’avais un petit d’un an, une grande de trois ans. Et bim. Rebelote, enceinte. J’aurais voulu garder l’enfant si mon mec ne m’avait pas limite ri au nez quand je le lui ai dit. Trop fatigué. Un jour peut-être mais pas maintenant.
 
Alors j’ai pris rendez-vous pour l’avortement à l’hôpital d’à côté. Parce qu’avec les petits, j’allais pas me déplacer à perpette même si je connaissais des services qui avaient meilleure réputation.
 
Pendant les jours qui ont précédé l’avortement, mon mec n’a pas été très présent. Je pense qu’il n’a pas mesuré la difficulté, pour moi, de mettre un terme à cette grossesse. Quand j’ai fini par me pointer à l’hôpital pour l’IVG, j’avais une semaine de chiale plus une semaine de nausée dans le corps. J’étais triste et fatiguée.
 
On nous a toutes installées, les patientes de ce jour, en chemisette d’hôpital dans une salle d’attente sans fenêtres. J’ai ricané quand on m’a filé la chemisette (celle qui est toute ouverte derrière et qui est si courte qu’on ne peut pas s’asseoir dessus). L’aide-soignant, un type avec une gueule un peu malsaine, pâle et rougeaude à la fois, l’a mal pris. « Pourquoi vous riez ? Vous savez qu’ici c’est l’hôpital public. Et puis on vous a averti d’amener une robe de chambre. » Oui. On m’a avertie. Mais ma robe de chambre, je la mets par-dessus un pyjama et elle est un peu transparente.
 
Donc, moitié à poil, dûment engueulée, je m’installe dans cette salle glauque où on est toutes disposées en rond. Gênées, déprimées, anxieuses, all of the above. J’ai amené ma tablette et j’ai regardé un film léger en faisant mine d’ignorer la jeune fille qui pleurait dans un coin.
 
J’avais demandé que l’aspiration se fasse sans anesthésie générale. Je n’aime pas les anesthésiants et je sais que ce n’est pas très douloureux, physiquement, un avortement. J’étais la seule à avoir demandé cela. Étrangement, on m’a néanmoins fait passer la dernière. Du coup, j’ai vu les autres partir une à une et revenir, droguées, dans leur petite tenue et leur totale absence d’intimité. D’aucunes pleuraient, d’autres déliraient : « je vais faire pipi dans mon lit, hihi ». L’anesthésiste passant par là a essayé très maladroitement de rassurer une jeune fille qui faisait une crise de panique. Genre, petite claque paternaliste sur l’épaule, « ça va aller, fais pas cette tête ». La fille suffoque, se détourne.
 
(Un petit mot dans tout ça pour dire que les infirmières qui ont préparé mes collègues ont été très sympas. Sympas dans un système déshumanisant.)
 
Pendant tout ce manège on entend un brouhaha pas possible qui vient de la salle d’à côté. On rit, on s’esclaffe, on parle fort. Ça n’est pas la salle de garde, c’est… la salle d’opération ! Mais oui. Le chirurgien-gynéco aime le rock. Et il aime écouter du rock pendant la procédure !
 
L’ambiance est au top.
 
Quand mon tour arrive enfin, on n’éteint surtout pas la musique et on continue à discuter entre personnel. Le chirurgien, son assistante (l’infirmière de bloc ?) qui glousse à chacune de ses blagues, l’anesthésiste, qui n’a rien de mieux à faire semble-t-il et reste pour discuter, l’aide-soignant (M. « pourquoi tu ris ? »), qui fixe distraitement mon entrejambe, genre je suis dans la lune.
 
Pendant l’IVG, j’ai donc écouté Santana, que je n’aimais pas mais que maintenant j’exècre. Le chirurgien m’a demandé d’un ton léger, en fouraillant dans mes entrailles, si j’étais allergique aux médocs anesthésiants. J’ai répondu que non, que c’était un choix de convenance. En me disant que si j’avais su, j’aurais peut-être évité d’être consciente.
 
Après, on nous a toutes gardées « pour observation » même s’il n’y avait rien à observer en ce qui me concernait, étant donné l’absence d’anesthésie. Je me suis échappée. Personne n’avait jugé bon de me dire que mon mec m’attendait dans le couloir depuis une bonne demi-heure. Quand je l’ai trouvé, je l’ai accroché par le bras et je ne l’ai plus lâché.
 
Et le pire dans tout ça, c’est que le bon médecin est très apprécié dans son service. Une jeune collègue m’a dit que, quand le Dr. Santana prendrait sa retraite, on se demandait bien comment on allait faire pour le remplacer. Genre, le bon docteur Santana, si sympa et si dévoué… Du coup j’ai eu des réticences à dénoncer ces actes. Je me suis dit, au moins ils l’ont fait. Au moins, à côté de chez moi, un hôpital prend en charge les filles comme moi, qui n’ont pas su dire « capote » quand un soir de vacances, au milieu de la nuit, l’envie de sexe nous a surprises.
 
Parce que même si je suis une féministe aguerrie, j’ai quand même un peu honte de mes quatre avortements, que je pense quand même quelque part que je mérite d’être maltraitée pour ma fertilité débordante, parce que je sais que des médecins avorteurs, il faut se lever tôt pour en recruter. Parce que les services d’avortement ferment en France. Alors je vais pas leur taper dessus en plus. Non ?
 
 
 
Mimi
 
 

Dessin en noir et blanc. En bas, au centre, une salle blanche entièrement carrelée à laquelle il manque le toit et un mur, comme une pièce de maison de poupée. Dans cette salle blanche, dans le coin, une femme est allongée sur le ventre et à côté d’elle, une flaque noire. A coté de la flaque, des petits flaques qui deviennent petit à petit des notes de musique qui s’élèvent vers le haut. En haut du dessin, du noir. Un noir qui étouffe. Un noir dans lequel se dessinent, en blanc, des sourires menaçants et des notes de musiques blanches. On y lit ” HAHAHAHA” aussi. Et ces petites notes noires qui s’élèvent, elles rejoignent cette masse noire qui rit. En dessous, la salle blanche “coule” ou “saigne”, en noir.



Illustration par Chise