Tout le monde a été très surpris par mon coming-out, moi comprise. J’avais pour habitude d’amuser la galerie avec mes histoires de garçons qui se faisaient de plus en plus osées au fil des ans. Elles me permettaient de « sublimer la mélancolie », comme on dit. De me consoler secrètement de ces parties de jambes en l’air toutes plus décevantes les unes que les autres.

Une fois racontées, auréolées de beau vocabulaire et de détails soigneusement choisis, ces aventures m’étaient moins nauséeuses.  En clair : je prenais plus de plaisir à raconter mes ébats qu’à les vivre. Mais bon, que voulez-vous ? J’avais 14, 15, 16, 17, 18,19 ans, je sortais avec des garçons, couchais avec des garçons, embrassais des garçons pour finalement m’en sortir vivante, gorgée d’anecdotes savoureuses. Que demande le peuple ?

Un beau (très beau) matin, je me suis débarrassée de mes cheveux. On m’a charriée « tu fais lesbienne ! ». Et devinez quoi ? Ça m’a fait plaisir.

C’est alors que j’ai rencontré Nadia. C’est elle qui est venue vers moi, comme ça, à pas de velours, et qui a fait sauter le verrou.

J’ai d’abord cru à une énième élucubration de mon imagination. Quoi, tu es si assoiffée de sensations que tu vas donner dans le lesbianisme expérimental ? La peau de Nadia a envoyé valser les doutes. J’ai dû me rendre à l’évidence : c’est beau, une fille. C’est tellement beau que je pourrais sincèrement en tomber amoureuse. C’est tellement beau qu’il serait insupportable de ne pas y toucher. Toucher… Pas pour rendre la pareille, comme avec les garçons, mais toucher par désir. C’est donc ça, le désir…

Si j’écris ce texte, ce n’est pas parce que j’ai souffert de mon coming-out, bien au contraire. Mon entourage l’a toléré. Seule ma mère a pleuré de désespoir en disant qu’elle «  avait des projets pour moi ».

J’écris ce texte parce que j’ai été, pendant 19 ans, victime de ma propre censure, alimentée de force par les modèles que l’on nous inflige : un papa et une maman, un homme et une femme, un prince et une princesse au meilleur des cas, n’est-ce pas ?

Tout juste sortie de l’enfance, j’ai plongé dans le sexe, dans une foule de relations – qui m’ont rendue très bonne comédienne – sans savoir que moi aussi, je pouvais sortir avec des filles, faire l’amour avec des filles, embrasser des filles. Je croyais vraiment que c’était réservé aux autres, aux lesbiennes quoi. En 19 ans de refoulement, il ne m’est JAMAIS venu à l’esprit que j’avais aussi le droit de l’être. J’aurais aimé, au lieu que l’on m’enseigne à mettre une capote, que l’on me dise : aime qui bon te semble.

Alors je vous le dis : aimez qui bon vous semble, ne vous bâillonnez pas,  ne censurez pas vos désirs, n’attendez pas mille ans qu’une belle Nadia vienne vous sauver des faux semblants.

Alix

Illu - BAILLONNEE HD

Illustration par Nat