Cela fait longtemps que je lis et que j’entends des témoignages de maltraitance, de viol et d’attouchements. Je me rends compte qu’à chaque fois que je parle de mon expérience, ou juste du sujet, il y a au moins une personne sur quatre, sans me compter, qui a vécu des choses similaires.

Ça me rend folle !

Quand j’étais enfant, je croyais que personne ne pouvait me comprendre. Je pensais que seule ma mère avait la capacité de ne pas me juger. Et ado c’était pire.

Je ne sais pas si c’est bon pour moi d’en parler encore une énième fois. J’ai l’impression d’avoir raconté ces histoires des milliers et des milliers de fois, et pourtant je n’ai que trente-trois ans.

Aujourd’hui, je me suis construite. Avec des attouchements à cinq ans, (peut-être la seule fois de ma vie où j’ai su dire “non” fermement), des attouchements à  huit ans, (là, j’en redemandais),  et des attouchements à quatorze ans, (là, je ne savais plus).

A quatorze ans, c’était mon père. Je ne le connaissais pas, j’étais venu passer l’été chez lui. Loin de chez ma mère. De l’autre côté de l’océan. Comment repousser les caresses d’un père rêvé, désiré, fantasmé… ? J’ai accepté ce qu’il m’offrait. La découverte de mon corps sexué.

Grâce à lui je sais que j’ai un clitoris. Non, en fait, je le savais déjà. Même que je me le frottais et que ça me faisait du bien. Mais là, c’était lui qui le frottait. Et ça me faisait jouir. C’était tous les soirs. Les après-midis. La nuit. Je ne sais plus. Ce dont je me souviens, c’est d’un terrible désir qui montait en moi, et en même temps une terrible culpabilité, une terrible peur. Tous les matins, lorsque je me lavais dans la salle de bain, je tombais dans les pommes. J’avais peur qu’il me rejette, c’était mon père, celui que j’avais rêvé tant d’années. Ça a duré deux mois. J’ai juste réussi à refuser  qu’il me pénètre, son sexe me semblait énorme, il m’a fait très peur. Il n’a pas insisté.

Le pire ce n’est pas cette histoire. C’est après. Une véritable descente aux enfers. Je croyais que le rapport aux hommes se résumait au sexe. Même pas aux rapports charnels. Ce n’était pas vraiment bien. J’étais à leur service.

Et j’ai rencontré Julien. Lui il m’a écoutée. Il m’a fait du bien. Ça a duré de la quatrième à la première. Ça m’a fait tellement de bien ! Cinq ans de secret. Et puis je suis partie. Loin. J’ai grandi. J’ai réfléchi. J’ai appris à me respecter. J’ai appris la valeur qu’avait ma vie. Mon corps. J’ai retrouvé Julien. Et puis j’ai quitté Julien. Je l’ai tant aimé. J’ai construit. Je me suis construite. J’ai aussi vécu une belle histoire d’amour, avec un autre homme, dans le respect.

Puis j’ai eu vingt-trois ans. Alexandre. Bonjour, je t’en prie, entre dans ma vie. Et puis tiens, si tu détruisais tout ?
Je l’ai laissé faire pendant neuf mois. Il me frappait, me disait que j’étais nulle. Que j’étais une personne mauvaise. Que je ne pouvais comprendre personne. Un pervers narcissique. Plus personne ne voulait me voir. Je suis entrée en dépression. Un jour, il a failli me tuer d’un coup de couteau. J’ai réussi à m’échapper, une amie m’a récupérée. Et puis le soir, chez mes parents, ça me semblait déjà être un rêve, comme une sensation de film un peu prenant.

Il m’a poursuivie pendant un mois, à me dire qu’il s’excusait, qu’il m’aimait, etc. Il restait derrière la porte de l’amie chez qui je m’étais réfugiée, à me dire des mots tendres, durs, amoureux, méchants… Je n’ai jamais ouvert.

Mais j’étais perdue. Ma vie sexuelle était comme lavée. Je ne sais pas comment dire. C’était comme s’il avait appuyé sur le bouton reset. J’ai ensuite vécu d’autres histoires d’amour, qui ont marché ou pas. On m’a respectée, je me suis fait respecter.  Mais ce qui a été cassé, c’est le lâcher-prise. C’est d’ailleurs pour ça que je cherche toujours à dépasser mes limites.

Aujourd’hui, je parle de mon histoire assez facilement, je n’en suis pas pudique. Ce qui je pense m’a permis de m’accepter comme je suis. J’aime le corps, le sexe. J’aime dépasser mes limites corporelles, j’ai appris à le faire dans le respect. Ce que je sais, c’est que nous avons des ami-e-s. Il suffit de savoir tendre la main. Il y aura toujours quelqu’un pour l’attraper. Ce que je sais, c’est que nous sommes vraiment beaucoup à avoir vécu ces maltraitances. Et ce qui me rend folle, c’est ce secret qui plane au dessus. Il n’y a pas à avoir de secret.

Nous devons le dire. Nous devons nous écouter. Nous ne devons pas nous juger. Nous devons nous aimer. Nous devons avoir confiance en l’amour que nous portent notre famille et nos proches.

Nous devons apprendre à nos enfants à dire non. Et à ne pas forcer. Mais nous ne devons pas diaboliser.

Soyez Fortes. Soyez Forts.

C’est grave, mais en fait ce n’est pas grave. On est plus forts et plus fortes.

 

Cécile

Lecture par Céline Le Coustumer

Illustration par Cécile

Illustration par Cécile