Histoires qui se racontent dans les chambres d’hôtel sordides de mise à l’abri très provisoire entre mineurs isolés étrangers. Ces adolescents ont majoritairement 14, 15, 16 et 17 ans. Contraints et forcés, ils ont tout quitté pour rejoindre Paris.

Leur histoire et la route de l’exil, ils viennent de les raconter à un évaluateur de la Croix-Rouge au dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE). L’évaluateur, puis la Direction de l’Action Sociale de l’Enfance et de la Santé (DASES qui statuera sans voir l’adolescent sur le simple rapport transmis) cherchent des incohérences dans le récit, à défaut de s’intéresser à leurs fragilités et à leurs traumatismes. Ils seront au bout du compte quasiment tous refusés à la protection, non-reconnus mineurs ou insuffisamment isolés. Ils se verront remettre une lettre résumant leur récit, parfois différent de celui qu’ils ont raconté, faute de traducteur adapté, ou volontairement, avec des dates de naissances gonflées qui ne sont pas les leurs, invoquant les raisons du refus. 

À la suite de cette décision, ils seront priés de quitter les hôtels après quelques nuits de mise à l’abri passées au milieu des punaises de lit, des cafards et des souris, livrés à eux-mêmes. Ils pensaient pourtant que c’était la fin du calvaire, soulagés d’avoir atteint le point d’arrivée d’un long et dangereux périple. Faute de prise en charge, la plupart reprendront la route dans l’espoir de trouver enfin une terre d’asile et un peu de bienveillance, les autres se lanceront dans un long combat administratif et juridique pour tenter d’obtenir leurs droits bafoués jusqu’ici et aller à l’école. 

Leurs histoires sont bouleversantes.

Voilà comment ils se les racontent, entre eux, à travers quelques extraits qu’ils ont choisi, loin des évaluateurs et de toute suspicion et ce qu’ils pensent des conditions de mise à l’abri. 

Les témoignages ont été recueillis par D., tout juste 16 ans, H., 15 ans, A., 15 ans, et retranscrits tels qu’ils les ont été racontés avec leurs mots). Chacun a juste dit ce qu’il voulait dire, avec ses “incohérences” tellement compréhensibles. D. H. et A  m’ont donné ces témoignages pour que je vous les donne à mon tour. 

Agathe

 ***

 B. 17 ans – Trajet

Il a commencé à Daloa, pour aller au Burkina Fasso et j’ai passé une journée dans la voiture. Après, je suis partie à Agadez, le passeur s’appelle Papou. J’ai passé trois semaines avec Papou et les autres personnes. Un certain lundi 29 janvier 2016, on a pris la direction de la misère du désert. Dans le désert, la voiture est tombée en panne. Ils ont mis une semaine à réparer la voiture. En repartant à travers le désert, la voiture a eu un accident. On est descendu et ils ont réparé toute la journée, jusqu’à la nuit. On n’avait rien a manger, ni à boire. On a continué jusqu’à Sebha, en Lybie. On est resté deux semaines à Sebha et on a continué la route à travers la Lybie pour rejoindre la mer. C’était très dangereux. Ils étaient tous méchants avec nous. Le plus méchant a tiré sur un monsieur et sur nous, les femmes. Le monsieur est mort. On dormait dans la case des poulets et on est resté au même endroit toute une semaine. Le monsieur le plus méchant et son ami m’ont tapée très fort et m’ont violée. Je ne savais pas que j’allais être enceinte. Après, j’étais gravement malade mais on était obligé de partir encore.

Le convoi était à 5 heures du matin et on s’est perdu sur la route. Après, on est arrivé pour la traversée en mer. Le zodiac a crevé de bas en haut et on n’avait plus d’essence. On s’est débrouillé jusqu’à ce que les sauveteurs arrivent nous sauver. Le zodiac était cassé en deux parties et il y avait des requins, on avait tous très peur et il y a avait beaucoup de morts et de blessés.

On est entré en Italie dans un “campo”. Là-bas, on nous maltraitait, il y avait d’autres filles et certaines faisaient de la prostitution et ils nous demandaient de faire ça. On a refusé alors ils ne nous donnaient plus à manger. On était trente femmes et il y avait des mamans et deux petites filles (Noura et Braki). Ils voulaient voler la plus petite qui était un bébé.

J’ai compris que moi aussi, j’allais avoir un bébé, mon ventre se voyait. Quand on a essayé de partir du “campo”, ils nous ramenaient et nous poussaient. On a réussi et on a passé une semaine dans une cachette. Un dimanche, j’ai pris le train jusqu’en France. Je ne connaissais personne, je suis tombée de fatigue dans la rue et une personne a appelé l’ambulance. Je suis restée une semaine à l’hôpital. Je ne pouvais rien payer donc ils ont appelé la police. La police a été très gentille, elle m’a sortie de l’hôpital et déposée à la Croix-Rouge. 

Là-bas, ils m’ont dit de revenir et après ils m’ont dit d’aller à l’hôtel. Ils disent tout le temps de revenir. La police a été plus gentille que la Croix-Rouge. J’attends de savoir. L’hôpital a fait une lettre pour la Croix-Rouge. J’ai donné la lettre à la Croix-Rouge. Pour le moment je suis à l’hôtel et il y a d’autres filles très gentilles. J’ai faim, et on ne me donne vraiment rien à l’hôtel. J’ai la chance de rencontrer d’autres personnes très gentilles qui attendent la décision (la lettre du DEMIE), prêtes à m’aider.

En mai, j’aurai mon bébé.

 D. 15 ans – Ce qui m’a le plus traumatisé : 

En Libye, ils sont venus nous fouetter pour voler tout notre argent. Dans le désert, on a passé une semaine sans boire ni manger. Entre la Lybie et l’Italie, le bateau a crevé, il y a eu beaucoup de morts, une femme et deux enfants sont tombés dans l’eau et ils se débattaient jusqu’à ce qu’ils meurent. On était 135 sur un petit bateau et après l’accident on était 57. 

 A. 14 ans – Ce qui m’a fait le plus peur :

Un passeur m’a mis un pistolet sur la tête et il m’a dit : “donne tout ce que tu as, sinon t’es mort”.

Il m’a ensuite montré comment s’accrocher sous un camion et il m’a dit  : “dis-moi merci “. Peut-être que ça aurait été mieux qu’il me tue. J’ai passé des heures sous ce camion, accroché de toutes mes forces pour ne pas tomber sur la route. Demain, je suis à la rue. Aujourd’hui,  la Croix-Rouge m’a donné ma lettre de refus, ils disent que rien ne prouve mon âge et mon isolement. 

D.16 ans – Les raisons de mon départ

 Le 31 décembre, mon père avait tout organisé et il m’a dit : “dimanche, c’est le jour de ton mariage”. Je ne voulais pas me marier de force avec cet homme et je voulais continuer mes études. C’est pourquoi, je suis partie et je suis venue en France. 

Trajet : Je suis partie de Bamako en voiture avec un groupe, on est passé par Ségou, Gao, Kidal, Tombouctou, on a encore fait une semaine de route, on est entré en Algérie dans une petite ville et la voiture est tombée en panne. On est resté trois jours dans le Sahara et on a vu des choses comme des chameaux aux couleurs orange. Pendant que je regardais les chameaux qui avaient deux fardeaux, le chauffeur nous a dit : “faites attention, si quelqu’un tombe, je ne m’arrête pas”. J’ai vu des squelettes humains, la route était très longue pour arriver jusqu’au Maroc. Là-bas, le zodiac était prêt, on est monté dessus mais on était vraiment beaucoup trop nombreux. On s’est perdu dans les eaux entre la Libye et le Maroc. On a été obligé de retourner au Maroc et deux jours après on a recommencé.  

Arrivés en Libye, ils nous ont habillés en djellaba pour qu’on ne se fasse pas remarquer. Pour nous cacher, il y avait un taximan qui amène des gens tous les jours pour prendre le bateau. A 3 heures du matin, on est encore monté dans un zodiac. 

On était 130 et on était que deux filles. On était toutes les deux malades, on avait très mal au ventre, on avait soif mais il n’y avait plus d’eau. On a bu l’eau de la mer. L’autre fille avait vraiment très soif. D’un seul coup, elle m’a dit : “pour moi la vie s’arrête là, tu es très gentille avec moi depuis le début du trajet donc merci vraiment ” et elle a fermé les yeux. Un homme a jeté son corps dans l’eau et j’étais la seule fille sur le bateau. On est tombé en panne d’essence, le bateau prenait l’eau et on s’est tous retrouvé dans la mer. Il y avait des requins autour de nous, on avait très peur, mais des dauphins sont venus nous protéger. Il y avait quatre dauphins qui ont tout fait pour nous sauver la vie. Ils chassaient les requins. Les secours sont venus nous sauver et on est arrivé en Italie. Après, on s’est séparé pour partir vers différentes villes: Rome, Milan, Palerme, moi je suis allée à Milan, puis à Vintimille. 

J’ai rencontré une femme que je n’oublierai jamais. Elle m’a aidée à traverser la frontière dans le coffre de la voiture de sa petite fille. J’ai pris le train à Nice pour aller à Paris. J’ai dormi à Gare de Lyon avec un vieux qui me protégeait. Le matin, à 6 heures, les contrôleurs nous ont réveillé. Je ne savais pas où aller, alors je suis allée dans une autre gare. J’ai dormi à Gare du Nord aussi. J’avais très peur. Un jour, une dame m’a demandé si je pouvais avoir un extrait d’acte de naissance, elle m’a donné un téléphone avec une puce Lyca mobile et on a appelé ma mère qui a envoyé à la dame mon extrait d’acte de naissance. J’ai dormi deux semaines à Gare du Nord, c’était horrible. 

La dame m’a dit d’aller à la Croix-Rouge à Couronnes avec mon extrait d’acte de naissance. J’y suis allée mais ils m’ont dit de partir sans raison et ils m’ont dit d’aller au tribunal.  Je suis retournée dormir à Gare du Nord et je suis allée au tribunal qui a envoyé un mail à la Croix-Rouge pour dire de me donner un rendez-vous. Je suis retournée avec le mail que le tribunal m’a donné. Il pleuvait ce jour-là, il faisait froid, j’ai attendu mais la Croix-Rouge n’a jamais ouvert ce jour-là. Il y avait beaucoup de mineurs qui attendaient avec moi. J’ai rencontré des personnes très gentilles. Je pleurais beaucoup. Le lendemain, je suis retournée à la Croix-Rouge et ils m’ont fait mon évaluation directement. Depuis, je suis à l’hôtel, un hôtel pourri ou les souris viennent la nuit et où il y a des bêtes dans les lits. Depuis trois jours ils me disent de revenir tous les jours à la Croix-Rouge, ils m’ont dit que je suis refusée mais que je dois revenir pour avoir ma lettre. Quand je vais avoir ma lettre, je vais devoir partir de l’hôtel pour retourner dans la rue. 

Je veux juste aller à l’école. 

K. et H. 15 ans, O. 16 ans – L’hôtel à Paris

 K. : Quand je suis venu à la police, ils m’ont amené à la Croix-Rouge. La Croix-Rouge m’a mis dans un hôtel. Dans l’hôtel, on ne nous donne pas beaucoup à manger et ce n’est pas bon. Dans l’hôtel c’est sale, les draps ne sont pas changés et il y a des poux. Dans l’hôtel, il y a des bêtes qui nous piquent la nuit et les douches ne marchent pas bien du tout. Il y a deux douches pour quarante personnes et les toilettes sont très sales aussi. Tout est très vieux. 

Pourquoi c’est comme ça ? Paris est une ville riche, je croyais. 

 H. : On est quatre dans la chambre. C’est vraiment tout petit, très sale, et très vieux. Il n’y a pas de prise dans la chambre, comme s’il n’y avait pas d’électricité. La peinture tombe du mur dans le lit au milieu des bêtes. La fenêtre ne se ferme pas et sous la fenêtre, il y a un bar et c’est très bruyant, alors on ne dort pas. On ne peut pas se laver, il n’y a rien pour se laver. Les gens sont méchants ici. Tous les jours, il y a des garçons de mon âge qui doivent partir et on leur dit de partir méchamment, que c’est tant pis, s’ils n’ont pas d’endroit pour dormir, qu’ils vous retrouver des copains dans les rues. 

O. : Dans l’hôtel, il y a des messieurs qui travaillent là qui boivent vraiment beaucoup d’alcool. Ils crient et nous font peur. Ils disent qu’on est des voyous, des sales étrangers, ils ne sont vraiment pas gentils. Dans mon pays, l’étranger est notre invité, on est heureux de lui ouvrir les portes de notre maison. Pas ici.  Tellement qu’on sent qu’on ne veut pas de nous, il y en a qui disparaissent. On ne sait pas où… De toute façon tout le monde a une lettre de refus. À moi, à la Croix-Rouge, ils m’ont dit : “les soudanais n’ont aucune chance “.

 A. 15 ans et M. 16 ans – La Croix-Rouge

 A. : À la Croix-Rouge, ils m’ont donné un papier pour revenir pour mon évaluation. Quand je suis venu le jour du rendez-vous, j’ai attendu deux heures, et ils m’ont donné une nouvelle date de rendez-vous sans me dire pourquoi. En plus, il fallait que je change d’hôtel. Les gens sont vraiment méchants là-bas. Ils s’en fichent, de nous. J’ai compris qu’on ne voulait pas de moi ici et de tous les autres dans l’hôtel étaient renvoyés. Il fait froid, je ne veux pas dormir dehors après et dans l’hôtel les bêtes me piquent toutes les nuits. C’est comme en Afrique. Je ne suis vais pas retourner à la Croix-Rouge, je préfère quitter Paris. La France c’est pas un bon pays. 

 M. : “On ne croit pas ton histoire”, voilà ce qu’il m’a dit à la Croix-Rouge après que j’ai raconté ma vie. Je ne dors pas la nuit, je n’arrive pas à dormir la nuit. Ça fait vraiment très longtemps que je ne dors pas la nuit. Je suis vraiment très mal parce que je ne l’aime pas, mon histoire et j’aurais préféré pouvoir rester dans mon pays. Chaque nuit, je revoie les talibans entrer dans ma maison et tuer ma famille. 

***

Merci

Nous sommes
Très nombreux à penser que vous vous êtes nos invités.
 
Agathe 
 
Illustration par Agathe