La route est longue si longue, tellement longue… semée d’embuches et de pièges…
Et même quand ça semble se stabiliser, c’est jamais gagné…
Ce soir, je pense à tous ceux qui sont passés dans la jungle et sur les différents camps, trottoirs parisiens… Ici et là…
À ceux qui y ont perdu leur vie aussi.
Où sont ils tous maintenant ?
Où seront ils ensuite ?
Dans combien de temps seront-ils sereins ? Enfin…

J’ai le vertige de ce brassage d’humains qui manque inexorablement d’ Humanité, à la télé ils disent ” flux continu de migrants, crise migratoire…”

Faire choisir sur une carte aux plus chanceux entre 2 régions…
Les faire monter dans des bus aux sièges soigneusement plastifiés…
Vider les humains comme des troupeaux marqués d’un bracelet, bracelet de la loterie…
Triés les mineurs au faciès…
Nasser encore et encore,
Faire s’asseoir par terre sur le bitume, “parquer”, “réguler”, “faire monter dans des bus” à destination top secrète pour “évacuer” les trottoirs, pousser dans la bouche de métro la plus proche le reste de “leur” troupeau d’humains pour les faire disparaître, s’exclamer sournoisement “pas de nouveau point de fixation, enlevez les points d’eau, faites le ménage des tentes, duvets, plus rien ne doit être visible…fin du dispositif”.
Comme s’ils n’avaient jamais existé.

“Alerte, Rafle, évacuation, nasse, cra, oqtf, refusé, dubliné, benne”, sont devenus des mots familiers…
Moi quand je pense à eux, je vois des regards, des sourires, des gestes, j’entends des mots, des prénoms, je sens des odeurs qui ne me dégoûtent pas mais je ne suis pas moins dégoutée, ni même habituée.
On ne pourra jamais s’habituer à autant d’inhumanité…
Jamais on ne s’habituera à cela, simplement parce qu’un humain est un humain, qu’il y a des regroupements d’humain individuel, d’ un humain + un autre humain et encore un autre humain et que de ce regroupement nait forcément autant d’histoires, de cas individuels et d’histoires humaines. Des +++ …
“Citoyens du monde” dit la chanson… Parce qu’on a rythmé mon enfance avec ce slogan “liberté, égalité, fraternité…” Et que j’aimerais que ces mots redeviennent plus familiers mais surtout réalité.

Ce soir, je pense à toute cette mascarade médiatique, à ce qu’on montre, ce qu’on dit, ce qu’on choisi de dire et de ne pas dire, les mensonges relatés depuis que le sujet devient débat politique, priorité électorale.
Je suis plus écœurée encore.

Alors ce soir, je pense à eux encore, ils me redonnent l’espoir, cet espoir qu’ils continuent d’avoir et de communiquer à ceux qui les connaissent et qui ne les ont jamais vu comme un flux ingérable, mais comme une richesse.
Je pense à la famille R. qui m’a serrée fort dans ses bras vendredi en guise d’au revoir, sur le point de partir en centre d’accueil vers les Pyrénées après des semaines cet été sur le trottoir et dans un centre d’hébergement d’urgence parisien qui ne veut plus d’eux.
Leurs sourires m’ont encouragés à revenir chaque jour quand Paris était déserté au cœur de ce mois d’aout.
Je ne les oublierai jamais et je prendrai de leurs nouvelles.
Je pense à tous ces enfants qui rêvent d’aller à l’école et connaître des jours sans pénurie.
Je pense à H. qui avait quitté Paris en larmes avec ses copains pour Calais du haut de ses 15 ans, faute de prise en charge ici. Je l’ai retrouvé dans la jungle il y a 3 semaines usé d’avoir essayé chaque soir de passer… Ce soir il dort dans un container, plein d’espoir et attend d’en savoir plus sur son sors.
Je pense à C. aussi dans le même cas, 16 ans, 1 an de jungle mais des rêves.
Je pense à G. Dans un camp au pays bas… Est ce mieux là bas ? Force du peuple Oromo à toi seul, je regarde souvent ton dessin, oiseau de liberté.
I. 14 ans a fait Jaurès/Allemagne/Jaurès/Belgique en 48h, champion du passage ! Qu’il puisse enfin se poser et gouter à plus de légèreté. La liste est longue, car chacun d’entre eux est incroyable.
Je pense à A., M., S., et tous ces ados en quête de bienveillance et d’apprendre : nos talents de demain.

Et puis, je pense à eux, évacués il y des mois, des semaines et qui croupissent dans des lieux sordides où ils ne sont pas bienvenus, qui déchaînent le débat des ignorants. Eux, qui comme moi espèrent que ça changera avec le temps.
Je pense à M. Et ses 37 amis qui ont passés 6 semaines dans un hôtel pourri à Dreux suite à l’évacuation du 16/9 et qui croyaient enfin intégrer un lieu durable, mais que la préfecture a transférés dans le centre d’hébergement d’urgence le plus pourri de Paris, à 800 mètres du camp où ils étaient pour une durée indéterminée, mis dehors à 9h, acceptés pour la nuit à partir de 22h…

Des pions, des flux d’arrivées, de départs, monter des hébergements préfabriqués, peu importe…
Montrer à la télé qu’on se débarrasse , qu’on démantèle, qu’on évacue, qu’on gère… Faire croire à une organisation parfaite.
Se faire mousser encore et encore…

Dans quelques jours, il y aura une nouvelle évacuation entre deux rafles… Des rafles on ne vous parlera pas, où mal, en boucle sur BFM par des journalistes égarés qui venaient clôturer le chapitre “Jungle de Calais” et chercher à montrer qu’ils viennent tous de Calais, ce qui est faux, puisque des semaines avant le démantèlement, les trottoirs débordaient déjà…
De l’évacuation on vous parlera, des violences policières gratuites à répétition on ne vous parlera plus, pas plus que des places faites en centre de rétention et des renvois dans les pays en guerre. On ne vous parlera pas non plus des familles qui se retrouveront sans rien à manger dans les hôtels dit “sociaux” et des mineurs isolés pour qui rien est jamais prévu à part la rue.

“2883 migrants évacués des camps parisiens avec hébergements… énième opération de ce genre en un an…”
 Et puis, suivra:
 “Ce jour marque l’ouverture du campement humanitaire de madame Hidalgo pour permettre un accueil digne des migrants : refugees welcome !”
 Voilà ce qu’on vous dira.
 Mais on ne vous parlera pas de l’après ni des laissés pour compte.

J’ai attendu plusieurs jours, 8 jours pour voir si M. 13 ans mort percuté par un train dans la nuit de vendredi dernier sur une voie ferrée du nord, aurait une ligne dans un journal , un mot en hommage, mais rien.
 Ses 2 copains sont entre la vie et la mort a l’hôpital de Lille, seuls, loin de leur famille.
 Ils voulaient rejoindre la jungle, à temps…
 Pas un mot.

Ce soir, je pense à eux ici et là et au delà.

Agathe Nadimi (31/10/2016)

Photo : sur une feuille blanche, un dessin d'enfant représente un perroquet multicolore.

Photo : sur une feuille blanche, un dessin d’enfant représente un perroquet multicolore.

Illustration par Agathe Nadimi