Quand j’avais 10 ans, mon père m’épilait les jambes. A la cire chaude. Ensuite, il inspectait le résultat. Il les caressait et décidait si oui ou non, c’était suffisamment doux. Sinon, il fallait continuer. Mettre plus de cire. Jusqu’à ce qu’il soit content. Il faisait la même chose à ses belle-filles. L’une d’elle s’est suicidée, quelques années plus tard. Elle avait 17 ans. Des années durant, j’ai haï mon corps. Des années durant, je n’ai pas pu laisser quelqu’un m’approcher. Je n’ai pas pu laisser quelqu’un caresser ces jambes. Je ne voulais pas les montrer. Il a instillé chez moi une culpabilité qui revenait au galop dès que quelqu’un dans la rue posait les yeux sur moi. Dès que quelqu’un d’autre me malmenait. Je le méritais.

Ma mère, elle, trouve que ce n’est pas grave. Elle pense que j’exagère. Elle me dit de me taire. Comme cette fois, où un homme est venu me faire des propositions dans la rue. J’avais 12 ans. Elle dit que c’est moi qui ai un problème. La preuve, c’est moi qui souffre. Elle ferme les yeux quand il y a des violences sous son nez. Elle encourage des femmes maltraitées à endurer leur sort avec confiance. Elle, elle peut. Moi, je ne peux plus supporter ça.

Viens ce jour où quelqu’un prend le temps de comprendre et me laisse articuler ces douleurs en cascade. M’encourage à en parler. A un médecin, d’abord, puis à la brigade des violences intra-familiales. Le calvaire est fini. Ils sont d’accord avec moi. Ce n’était pas normal. Cette conduite est répréhensible. Un père n’est pas sensé épiler sa fille pré-pubère.

Forte de cet appui institutionnel, je les mets devant les faits. Ils n’ont rien fait de mal, me répondent-ils.

E.

 

 

Dessin au crayon sur papier quadrillé de cahier d’école : une petite fille aux cheveux bouclés pointe du doigt le mot “pleure” de la phrase inscrite à côté : “ta petite fille pleure”.

Illustration par Cendrine P., 7 ans