Je n’ai jamais mangé de lapin.

Je me souviens, je devais avoir neuf ou dix ans, il y avait du lapin à la cantine, et l’idée seule me donnait envie de vomir. Je n’ai pas voulu le manger et depuis, je n’ai jamais cédé. Je n’ai jamais mangé de lapin.

En première année de fac, ma meilleure amie ne mangeait pas de cochon, pour les mêmes raisons que moi. Parce que c’est mignon, un cochon, c’est mignon comme un lapin, on ne mange pas les choses mignonnes. Du coup, je me suis demandée à partir de quand un animal est mignon au yeux de certain-e-s et pas des autres, puisque moi, ça ne me dérangeait pas de manger du cochon. Ma meilleure amie me disait « ben moi, quand je vois une tranche de jambon, je vois un animal », et je répondais « je ne veux pas penser à ça ». Je me bouchais les oreilles. Ou plutôt, je me cachais les yeux.

Encore quelques années plus tard, je suis tombée sur le blog d’Insolent Veggie, et j’ai commencé un conflit psychique interne qui a duré plusieurs mois. J’ai eu l’impression de passer par toutes les phases du deuil : déni (« je ne fais pas vraiment de mal aux animaux, de toutes façons, ils sont déjà morts. »), colère (« je fais ce que je veux quand même, si j’ai envie de bouffer un steak, c’est bon le steak ! »), tristesse, marchandage (« et si j’arrête de manger de la viande de temps en temps, c’est bon ? »)… Pour finir par me rendre compte que si je culpabilisais à ce point, c’est que peut-être, il y avait un problème.

Acceptation.

Tous les arguments en faveur du végéta*isme m’ont parlée, mais je crois que celui qui a le plus perturbé ma conscience a été celui du spécisme : pourquoi y avait-t-il certains animaux que je refusais catégoriquement de manger ? Pourquoi être émue par le sort des lapins et pas par celui des cochons ?

Paradoxalement, alors que je suis aujourd’hui végéta*ienne depuis trois ans – je me retrouve dans ce terme parce que je suis végétarienne, mais que je continue de consommer du miel et du fromage – les personnes qui me font lever les yeux au ciel ne sont pas les carnistes convaincu-e-s, mais ceulles qui, comme moi quelques années plus tôt, continuent de lister les animaux qui méritent d’être sauvés et ceux qui ne sont bons qu’à être mangés.

Nymphe

Dessin au feutre noir fin : un oeil géant dans le ciel à gauche. A la place de la pupille, une tête dont le visage est rempli d’yeux et dont les longs cheveux bruns pendent bien plus bas que l’oeil jusqu’à devenir la lettre “i”. Il est écrit dessous en majuscules ” I CAN FEEL EVYL” mais la barre du Y en croisant les lettres devient aussi celle du deuxième “e” de “EVERYTHING”, permettant de lire les deux mots mêlés.

Illustration par N.O.