« Votre fille a du cholestérol à 13 ans vous trouvez ça normal ? Qu’est-ce que vous lui donnez à manger ? »
J’ai 13 ans, je vis mon premier chagrin d’amour, je suis triste à mourir, ma mère ne voit rien à part mes nombreuses chutes de tensions. S’y ajoutent une phobie scolaire, une solitude extrême, au collège je n’arrive pas à manger, alors le soir quand je rentre dans mon cocon, crise de boulimie, maman n’est pas souvent là, elle ne voit rien. Mon corps envoie l’alarme, il refuse de fonctionner, la chute de tension de trop, je suis à l’hôpital. Qu’est-ce qu’il peut arriver à une jeune fille de cet âge-là ? Prise de sang, rien, un peu de cholestérol, le corps médical ne voit rien encore une fois. Et le médecin qui prononce cette phrase.
« Tu manges des gâteaux ? Beaucoup ? Des bonbons ? Des sodas ? Beaucoup de cochonneries non ? Il va falloir arrêter, tu vas reprendre en main ton alimentation tout de suite sinon à 40 ans tu seras obèse et en mauvaise santé. »
J’ai 13 ans, je calcule toutes mes calories, le taux de lipides. Je ne vois plus que des chiffres. Mon alimentation est faite de chiffres. Et je culpabilise, je culpabilise dès que je me nourris. Alors j’arrête de manger des fois. Et personne ne voit rien.
Lycée nouvelle ère, je calcule toujours, je remange, je culpabilise toujours. Mais je me persuade que je dois le faire, je me goinfre comme pour rattraper ces mois sans manger. Il y a aussi ce gentil médecin, un nouveau, qui me rassure, qui me dit que ce n’est rien, que le premier n’aurait jamais dû me dire ça, qu’à mon âge on ne fait pas de régime, que c’est un truc à me traumatiser à vie. Mais c’est déjà trop tard.
Je vois toujours ces chiffres, je les connais par cœur, chips 30 g de lipides, steak 9 g, haricot 5 g…
Alors je sais que je dois remaigrir.
Je sais que si je mange seule, personne ne verra rien.
Et puis je compare, le midi avec ma salade, je vois mes amies qui s’empiffrent de hamburgers, de frites, sans crainte, elles, elles sont minces. Je suis la copine un peu bouboule, celle qui a des « formes ». Et quand cette image me bouffe littéralement, une crise revient, anorexie ou boulimie au choix.
La phobie scolaire revient aussi, là c’est encore la crise. Anorexie. Même moi je ne vois rien cette fois. Encore une fois mon corps appelle à l’aide. Je n’entends rien. Cette fois, ma gorge se bloque je ne peux plus y rentrer d’aliments. Même plus besoin de compter. Alors on ne dit plus « bouboule » mais « tu as trop maigri » « tu n’as même plus de formes » « tu flottes dans tous tes vêtements » « mange un peu ! ».
Encore une fois des injonctions, encore une fois on me culpabilise sur mon poids, mon corps, est-ce qu’ils arrêteront un jour ? Ils ne voient que quand ça ne leur plaît pas.
Mais cette fois, il est là, il voit. Il s’inquiète, il vérifie toutes mes assiettes, comme une petite fille, comme on n’a jamais vérifié quand il aurait fallu, avant que ce soit trop tard. Mais je compte toujours.
« Ce n’est pas normal à 13 ans. Qu’est-ce que tu manges ? »
Je mange des chiffres.
Clémentine

© Clémence Thune.
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Merci beaucoup pour ce témoignage !
C est fou hein comme ce vide en soi reste là, on a beau remplir il reste! Et les phrases assassines avec!
Je ne connais pas le fond de ton mal être, ton histoire dans les details, mais je sais qu il a du beau et du bon en toi, accroche toi y.
il y a plein de soutiens possibles, livres, groupes de paroles, psy, accupuncture, homéopathie et cie, pour ma part en ce moment c est la sophrologie qui me reconcilie avec mon corps, petit pas par petits pas, palliers après palliers, on fini par changer de regard sursoi, et le regard des autres nous touche moins. Ils ne savent pas y a que toi qui sait, alors y a que toi qui peux décider de ce qui te fait du bien. .