A mon tour donc.

Je n’ai jamais été violée. Enfin je ne crois pas. Je sais, la formule est bizarre, mais c’est comme ça. Je n’ai pas le sentiment de l’avoir été, mais il y a cette empathie, cette souffrance quand j’entends parler du sujet depuis toujours. Peut-être que je devrais commencer au début.

J’ai quoi ? Six ou huit ans, je suis une poupée de porcelaine, blonde avec ce blond qui tire sur le roux, le teint pâle, l’air plus jeune que je ne suis, les yeux verts et surtout mes incroyables cheveux. Des cheveux qui tombent jusqu’aux reins, des cheveux épaix, des cheveux sur lesquels Maupassant aurait pu écrire un roman, des cheveux qui donnent envie de les empoigner.

Je ne me rappelle pas de tout. Cela sera donc un peu foutraque.

Il y a eu celui qui m’a suivi dans tout Paris quand je devais avoir seize ans et que j’étais avec ma mère, qui avait demandé de prendre une photo de mes cheveux sur la Seine et qui ensuite n’avait plus voulu nous laisser, ne cessant de prendre des photos et de commenter.

Un autre qui se colle à moi en pleine rue, j’ai quinze ans, il me fait des propositions, ma mère le dégage manu militari après qu’il ait essayé de me suivre jusque dans un commerce.

Celui qui dans les rues de Bordeaux m’abordait dès qu’il me croisait, trois fois en deux ans, me demandant d’en couper un bout et de lui donner. “Je suis artiste peintre, je travaille à un tableau sur les cheveux roux”. J’ai seize ans, je lui dis que je suis mineure, de me laisser “ce n’est pas grave, je vous les paierai”.

J’ai douze ans, sur la plage, un bruit de clés près de moi. Je lève les yeux, un homme agite ses clés pour attirer mon attention, de l’autre main, il tient son sexe hors de son maillot. Ma mère est furieuse, son amie aussi, ce sont des ex-flics, elles vont chercher les municipaux. C’est limite s’ils ne rigolent pas en laissant repartir ce type.

Y’a cette fois dans les Montagnes où je vivais où cet homme a essayé de m’attraper dans les bois. Mais est-ce qu’il était réel ou est-ce que celui-là je l’ai rêvé ?

Ce matin, j’avais dix-sept ans, je rentrais d’une soirée avec mes amis, je suis sur mon vélo, il est 6h du matin, j’ai l’air d’avoir douze ans, petite fille sage dans un quartier calme. Un homme m’interpelle, il commence à courir et essaye de m’attraper. J’accélère. J’ai peur. Je rentre retrouver ma mère, je ne lui raconte pas.

Une autre fois à Paris, je remonte une rue, une bande d’hommes m’encercle et me plaque contre un mur. Je me dégage, je cours.

Un autre matin, à Bruxelles, je vais voir un médecin, deux types me plaquent contre une camionnette en rigolant, c’est “juste pour rire” qu’ils essayent de m’y faire monter.

Ma mère qui n’ose pas me laisser sortir seule en journée.

Et puis il y a eu cette fois. J’étais avec mon copain du moment et ses amis à lui ; je ne les aimais pas, ils se droguaient. Ce jour-là, mes souvenirs s’arrêtent après avoir un peu bu. Pourtant je tiens bien la bouteille, j’en suis même assez fière, parano comme je le suis, de me dire que ce n’est pas par l’alcool qu’on m’aura. Non, mais la drogue dans la bouteille par contre. Je me suis réveillée sans mes sous-vêtements, sans pantalon ni souvenirs. Il est bien possible que je me sois déshabillée seule après tout, je n’aime pas dormir habillée. Mais le doute reste. Parce que j’ai un vagin.

Et tant d’autres… les photos prises à la dérobée, le regard de ces hommes avec leurs femmes et enfants qui ont la cinquantaine et qui rendent mon père fou parce qu’il comprend ce qu’ils veulent de moi alors que je suis juste une petite fille avec des longs cheveux.

Aujourd’hui, ma mère n’est plus là et j’ai coupé mes cheveux.

 

Lemm

Illu CHRONIQUES ORDINAIRES - BD

Illustration par Justine