Il y a cinq ans, il me quittait. Pour de faux – sa spécialité – pour me faire réagir, pour que je pleure. Je n’ai pas pleuré ; j’ai dit « d’accord ». Sa décision s’est retournée contre lui et il est devenu dingue. Il m’a suivie, hurlé, m’a insultée. Il m’a jetée contre un mur, j’ai rebondi dessus et je suis tombée près de la porte de la cuisine. Là, j’ai pleuré. Je l’ai supplié de me laisser partir et, à force de hurlements et de violence, il a fini par ouvrir la porte et me pousser dans le couloir.

J’ai couru. Le bus qui démarre, lui qui passe le coin de la rue. 32 appels en absence. 15 textos. Des messages vocaux que je n’écouterai jamais. Les menaces qui laissent présager de la suite.

Puis le chantage au suicide. L’inquiétude. Est-ce qu’il est assez con pour le faire ? Est-ce qu’il ne va pas se louper et vraiment se buter ? Est-ce que je vais devoir vivre avec ça toute ma vie ?

J’ai tenu.

Il est venu chez moi. Plusieurs fois. Il y a laissé des affaires jusqu’à six mois après notre rupture. L’énorme caisson de basses dans mon 37m2, c’était sympa.

Et puis ça s’est calmé. Mais on n’efface pas sept ans d’emprise en un claquement de doigts, et il était plus facile de continuer sur la voie du domptage que d’affronter directement un énième déferlement de colère. En attendant que ça se calme, que son attention se dirige ailleurs, qu’il oublie.

Il n’a pas oublié.

J’ai tempéré son existence dans ma vie en pensant gérer la situation. Ne pas dire un mot plus haut que l’autre, ne pas débattre de sujets importants, rester évasive, laisser couler, ne pas lui donner une raison de débarquer. Refuser poliment les propositions de se voir et les limiter à une ou deux visites par an. Et redouter chacune d’entre elles. Quand j’y pense, le sentiment d’oppression n’est jamais vraiment parti.

Cinq ans que j’attends de ne plus voir le moindre signe d’attachement de sa part. Et cinq ans qu’il est convaincu que je lui appartiens toujours un peu. Et qu’il lui appartient de prendre soin de moi et de me dire comment vivre.

Ce temps, qui m’a servi à me reconstruire, m’a aussi permis de réaliser l’ampleur de ce qu’il m’avait fait. J’ai fait du chemin, et j’ai compris que je n’étais pas la seule. Que ça arrive trop souvent et que ça laisse des traces.

Cinq ans après, c’est sorti. Au téléphone, après une remarque déplacée sur ma vie privée.

Il n’a pas compris. – Pourquoi d’un coup elle me gueule dessus celle-là ? – Il m’a traitée de tarée. Le goût amer du déjà-vu qui s’installe au fond de mon palais. C’est reparti. Pluie de saloperies et de plein d’autres choses encore, pas vraiment sensées et totalement minables. Il paraît que c’est un classique, cette manière d’embrouiller l’esprit en attaquant, de s’adresser à l’autre comme à un-e débile et de tenter de le-la déstabiliser quand tu ne sais pas te défendre.

Et, si ça ne marche pas, alors on passe à de la méchanceté crasse. Celle qui prend vie là où crèvent les cœurs.

Le dernier argument des faibles.

Il ne comprendra jamais.

Il pense que si, parce qu’on en avait parlé. Il croyait que j’avais pardonné. Moi aussi. Ce n’est que grâce aux connexions que j’ai récemment faites entre ma vie avec lui et mes comportements actuels que j’ai réalisé à quel point j’avais été conditionnée. Ça m’a mise dans une colère noire et j’ai eu besoin de la lui vomir dessus, comme lui m’a ensevelie de son seau de haine pendant sept ans. On en avait parlé sans recul. Je ne savais pas. J’avais honte. Je voulais apaiser et espérais que tout ça se tasse. Je n’avais pas prévu que la situation pourrait gangrener jusque-là. Ni qu’il oserait se permettre une énième intrusion dans ma vie. Ni qu’il pourrait encore être aussi petit et méchant.

Plus jamais.

 

M

 

cinq ans apres

 

Illustration par Hamza