Ce n’est pas une histoire de goût mais de dégoût. Enfant, les nerfs, le sang, le goût, l’odeur, c’était à la fois trop mort et trop vivant. Aussi, tout avait déjà commencé. J’ai dû revenir à mon rapport premier, non pas avec la viande évidemment, mais avec les animaux.

        Il y a quatre ans : la rencontre avec celui qui partage les pavés de ma route, les discussions à Kreuzberg, puis à Nottingham, d’où je repartais avec un chapeau-renard, m’ont fait retrouver the yellow brick road. J’ai pu défaire les conventions imposées par l’éducation, j’ai pu réunir en mon sein la loutre, l’araignée, le chat et le cochon. Ne devant plus les avaler, je pouvais les considérer.

        Et de ce jour, la coïncidence est devenue une co-naissance : avec moi-même et ma parenté animale. Dans la cour, à enlacer un arbre, j’ai trois automnes. Pleurer contre le flanc chaud et poussiéreux d’un cheval après son calvaire, j’étais nulle à cheval, pourquoi fallait-il leur imposer coup par coup ce manège bouffon qui ne m’a jamais intéressée ? J’ai monté à cheval pour avoir le droit d’être avec eux et de les panser. J’ai mis du temps à penser cela. Être choisie par un chat, être honorée par tant d’autres, je ne sais pas si les animaux ont vraiment besoin de moi même si j’en ai aidé beaucoup, mais sans eux je perds ma substance. C’est que je suis comme eux, l’animal que donc je suis (aurait dit Derrida). La présence animale m’autorise à n’être pas à la surface de moi-même. Je peux dissoudre le masque. Je peux même parler dans leur langue. Ce ne sera pas suivi d’un anathème social. Face à eux c’est toute ma différence qui se déploie parce que j’accueille toute la leur.

        Voilà encore un domaine où pour me conformer j’ai été déformée. Et tous les éléments rationnels qui ont informé mon choix : écologie, libération animale, santé, économie alimentaire pour ce monde, sont là aux yeux du monde pour rendre cela acceptable parce que dites seulement que ce sont vos viscères qui parlent et on vous crachera « hippie mystique » avec un mépris contenté. Cela va sans dire, le cartésianisme et l’animal-machine ne se sont pas éloignés en France quand il s’agit d’émotions et d’animal.

 

Voltayrine

 

Dessin au crayon à papier : un œil, immense. Et dans cet œil, un reflet ? Un monde en soi ? Des animaux. Un cochon, une panthère, une araignée, une loutre.

Dessin au crayon à papier : un œil, immense. Et dans cet œil, un reflet ? Un monde en soi ? Des animaux. Un cochon, une panthère, une araignée, une loutre.

Illustration par Voltayrine