Le sexisme fonctionne dans les quatre sens. Il gangrène l’homme autant qu’il salit la femme ; il fait de moi une victime refoulée et un agresseur potentiel (ou l’inverse).

Je suis un homme, sur le plan biologique. Certains de mes traits de caractère sont communs aux “vrais hommes”, à croire qu’il y a des choses auxquelles on n’échappe pas, sans doute plus par éducation et environnement social que par détermination génétique. Cependant, je porte les cheveux longs, je suis hypersensible, il m’arrive de pleurer en public. Autant de traits d’humanité qui m’ont valu tous les qualificatifs du monde. Fiotte. Tarlouze. Pédé. Comme si le fait de ne pas correspondre aux archétypes du mâle viril faisait de moi un homosexuel, et comme si être homosexuel était honteux, quand bien même je le serais.

Mais je n’ai pas le droit de me victimiser, parce que je ne suis pas extérieur à ce monde. Celui-ci qui, en tendant ses pectoraux vers le ciel, sous-entend avec une lourdeur déplorable que je ne suis pas un homme, un vrai, avec un grand H et une grosse paire de M, cet attardé congénital qui parade en roucoulant sans y penser ses stéréotypes minables, c’est mon semblable, c’est mon frère. Nous avons grandi sur la même planète, nous avons consommé les mêmes schémas sociétaux, nous avons intégré les mêmes conceptions du monde.

Je sais que, comme lui, j’ai rêvé d’avoir un corps à faire se pavaner les femmes orgueilleuses et sans cervelle qui promènent leurs poitrines épanouies dans nos films et nos sales pubs. Je sais que, comme lui, il m’arrive, dans certains contextes puant l’hormone mâle, de proférer des blagues misogynes à rendre écarlates toutes les Chiennes de Garde de cette Terre. Mais je sais que c’est du second degré. Je les dis par jeu. Pour me moquer de ceux qui les pensent vraiment. Mais oui, bien sûr. Ça me rassure bien de me dire que je n’en crois pas un mot. Ça me dédouane. Mais suis-je si blanc que j’essaie de me le faire croire ?

Comme toutes les formes de séparation de soi aux autres, le sexisme s’infiltre dans nos consciences avec une facilité déconcertante. Il est présent dès que je juge, dès que je fantasme, dès que j’omets, l’espace d’une rêverie un peu olé-olé, qu’une paire de seins arrogante ne transforme pas un sujet en objet.

N’est-il pas fallacieux, dès lors, de lutter contre une maladie que je porte en moi ? Peut-être pas. Parce que j’ai pris conscience de mes erreurs. Parce que, jour après jour, je lutte contre l’inertie de pensées qui, si je la laissais faire, me transformerait en un sexiste ordinaire. Ça ne veut pas dire que je suis profondément mauvais, et encore moins que la lutte est perdue d’avance. Ça ne veut pas dire non plus que, au contraire, je suis devenu le moins sexiste des hommes. Je veux juste sortir du modèle genré dans lequel on m’a fait baigner contre mon gré depuis que j’ai poussé mon premier cri, et des autres au passage.

Le sexisme n’est pas une intolérance active ; c’est une fainéantise de l’esprit. On se réconforte en se disant qu’il n’y a rien de mal à ça. “Quand je siffle une nana dans la rue, ça la flatte, non ?” Si ça la flatte, c’est qu’elle a compris de travers. Tu n’admires pas ses qualités : tu veux juste lui faire comprendre que tu as envie de la prendre. Tu ne la respectes pas, tu la désires, comme on veut un jouet ou une grosse bagnole.

Bah ouais, la respecter, ça voudrait dire faire plein d’efforts sur toi-même. Prendre conscience des enjeux du “sexisme ordinaire” et des “petites blagues anodines”. Comprendre que tu fais partie du problème. Reconsidérer tes actes, tes paroles, tes pensées, tes schémas. Contenir tes hormones. Réviser tes jugements. Aller contre le sens de ta fainéantise. Je comprends que tu aies un peu peur de t’y mettre. C’est dur de réaliser qu’on contribue à quelque chose qui provoque autant de souffrance et de peur dans ce monde. C’est encore plus dur de constater que la volonté ne suffit pas à être quelqu’un de meilleur. Il faut aussi du temps, de la persévérance. Des couilles, comme tu dirais. Et en empruntant cette voie, nous deviendrons des hommes, des vrais.

 

MZ

Illustration par Jess Ifer http://jayss0.wix.com/jessifer

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