Avant ma grossesse, j’étais fâchée avec la sexualité depuis longtemps. Fâchée avec mon corps. Fâchée contre moi. Moi qui ne sais pas dire non de peur qu’on ne m’abandonne. Moi qui ne sais pas dire non par peur des cris, des coups, des menaces. Moi qui dis non mais ne suis pas entendue ni respectée. Moi qui ne suis pas assez en colère contre lui. Lui qui a tant souffert et qui a tant besoin de moi.

Quand je tombe enceinte, ça fait bien longtemps que le temps du désir, des caresses et du plaisir est passé. Cela fait bien longtemps que je ne me soucie plus de tout ça. Je ne me touche plus et je baise mécanique. Vite, vite. Il y a urgence. Dépêchons. Qu’on en finisse. Je voulais juste un peu de tendresse ; le sexe, très peu pour moi. Malgré cela, mon enfant n’est pas né d’un viol, il n’est pas né de la violence. Pas cette fois-là. Heureux hasard.

Durant ma grossesse, pendant que grandissait celui qui allait occuper toute la place dans mes pensées – celle qui lui était jusqu’à présent réservée – la violence a redoublé. Pas physique, non. L’humiliation. Les mots. Le sentiment de n’être rien. Mais il fallait tenir. J’avais une responsabilité maintenant. Je ne pouvais plus mourir.

Une belle grossesse. Mon cerveau était niqué. Mais le corps tenait. Et mon sourire de façade n’était pas fissuré. Pas de sexe pendant la grossesse. J’étais sauvée.

Mon enfant est né. Une déchirure périnéale et quelques points dont la douleur est plus vive dans mes souvenirs que l’accouchement sans péridurale. Corps maternel qui nourrit, berce et câline. Corps sexuel en jachère pour de longs mois. Mais vient le jour où la déchirure n’est plus que vague cicatrice et où l’enfant quitte la chambre parentale pour la sienne. Et la sexualité revient comme un pensum, passage obligé à l’opération de maintien de la paix.

Un jour, j’ai pris l’appareil photo. Je ne sais pas comment, ni pourquoi. Et j’ai pris des photos de moi. J’ai approché ce corps presque étranger et j’ai récupéré des bouts de moi. J’ai essayé de les faire tenir ensemble. J’ai commencé à exister en dehors du regard et de la présence de ma mère, de l’autre et de mon enfant. J’ai regardé les photos des autres et je me suis souvenue que j’étais bien. J’ai à nouveau éprouvé du désir. Mais tout est resté dans ma tête, je ne savais plus faire.

Et comme je me reconstruisais, je me suis séparée. Séparée de l’autre, qui m’avait tellement mangée que je n’existais plus.

J’ai alors remis mon corps en jachère pour de longs mois. Pour toute la vie, croyais-je. Puis, je l’ai apprivoisé. Seule. Quand je me suis retrouvée j’ai laissé à d’autres le droit de m’approcher. J’ai repris le contrôle sur ma vie, mon corps et ma sexualité.

Je suis heureuse.

M.

 

 

 

Photographie en noir et blanc : une femme de profil, plaquée contre un mur les mains dans le dos, tourne la tête en hauteur, vers la lumière.

Illustration par Korz