A., photographe de temps à autre et colporteur de presse, 42ans.

Look artiste, décalé, effeminé.

Premier petit job, j’ai 15 ans, on m’envoie avec lui pour qu’il me forme. J’ai un premier copain, je suis pleine crise d’adolescence.

 Je m’entends bien avec A., il devient mon ami, me ramène chez lui, me fait fumer des joints, me prend en photo. Il écoute mes problèmes de gamine. Je suis très fine, je n’ai pas de formes. Je me cache sous les superpositions de vêtements de mon look de punk à chien. Il me dit que je suis jolie. Je n’ai aucun dialogue avec ma famille. Il devient le seul adulte de mon entourage qui m’écoute et me conseille, il me dit que je peux venir chez lui quand je veux, quand ça va pas chez moi. J’y vais à plusieurs reprises. Un jour, je ne comprends pas bien ce qui se passe, j’ai honte : comment je me retrouve à faire ce qu’il me dit, pourquoi j’ai mal quand il me viole par toutes les voies possibles, comment et pourquoi mon esprit s’échappe et que d’un coup je ne sens plus rien. Il me jouit dans la bouche et je vomis. Cela se reproduit plusieurs fois quand je vais chez lui sans savoir où dormir. Un jour, il me dit: “Est-ce qu’une femme qui finit par prendre du plaisir dans un viol est vraiment violée ? Un viol sans violence reste un viol tu sais. Toi, il faut toujours te forcer un peu.”

Je suis sous le choc. Je sais pas quoi répondre.

Je ne me rappelle pas avoir pris du plaisir.

Je sais que notre patron savait ce qui se passait en revanche.

Je fais de l’anorexie jusqu’à 20 ans, couplée avec ce qu’on appelle des conduitse à risques. Un tas de conduites à risque.

Mais je ne me démerde pas si mal : je fais du mannequinat et puis aussi du strip-tease dans des clubs « chic » : maintenant si tu ne veux ne serait-ce que me regarder, me désirer, il va falloir que tu raques.

Je reprends des études qui me plaisent, que je me paye toute seule avec mes cachets vengeurs.

X et Y. Artistes, compositeurs de musique électronique, looks alternatifs ; faussement marginaux et vrai  fils de bourges, vivants dans de grands appartements aux frais de leurs parents.

Je me suis fait violer par eux à deux reprises dans leurs soirées, après qu’ils aient mit du GHB dans mon verre. J’ai eu un black-out et puis un nombre considérable de flash-backs pendants des mois.

J’ai  préféré me dire que c’était de ma faute, que j’étais une fille facile, une pute, plutôt qu’une victime, quand un ami m’a proposé de leur broyer la gueule.

Aujourd’hui j’ai 26 ans, je suis un peu fêlée mais bon, je m’en sers,  je suis artiste. Je me suis posée, je ne zone plus à droite à gauche avec une faune malsaine. Je suis heureuse en couple, avec mon Amour qui m’apaise beaucoup.

et puis :

Z., chanteur de variété en plein essor, look à la Basquiat, me fait passer un bout d’essai pour son long-métrage en préparation. Au passage, il commet sur moi des attouchements, je suis seule chez lui, avec lui qui me colle et me filme, et je flippe, tétanisée par mes souvenirs, que ce que j’ai déjà connu se reproduise. Il finit par se frotter à ma jambe comme un clébard en m’écrasant de tout sont poids .

Il n’a filmé que mon visage, il me montre les rush, techniquement soignés. Selon lui, j’ai une grande capacité à jouer la sensualité au point, me dit-il qu’il a « dù arrêter de filmer tellement je semblais mélanger ses indications de jeu et mon trouble qui était réel.»

Prends-moi pour une conne en plus ! Aucun trouble chez moi, juste du dégoùt. Je sors de chez lui sous le choc, je rentre chez moi à pieds, je raconte à mon copain, qui ne comprend pas comment je me suis retrouvée coincée comme ça.

Je me renseigne auprès d’amis dans la musique, Z. a une sale réputation dans le milieu artistique, je ne suis pas la seule à qui il ait fait ça.

Cette fois, je ne suis pas traumatisée, j’ai vécu pire. Je voudrais juste lui cracher à la gueule.

J’étais sure de m’être reconstruite toute seule comme une grande, mais non en fait, sinon je ne me serais pas retrouvée dans une situation pareille ! (Oh ! comme je me reconnais la ! je suis en train de remettre la faute sur moi.)

Apparemment, je ne me suis pas reconstruite si bien que ça : si je suis seule avec un mec qui me met la pression pour obtenir une faveur sexuelle, en vérité, j’ai tellement peur que je deviens passive, m’absente mentalement, histoire de limiter les dégâts.

Je n’ai jamais déposé aucune plainte pour ne pas fragiliser davantage ma famille, et par peur de trop remuer des choses auxquelles je ne veux plus penser : en vérité, j’y pense tous les jours, à un moment ou à un autre, je laisse passer l’image, sans m’attarder dessus pour ne pas focaliser…

S.

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Illustration par Onee