Je n’ai jamais réussi à n’aimer qu’une seule personne. J’ai d’abord aimé mes parents, les deux, ma famille, mes ami.es, tous et toutes d’un amour entier et inconditionnel, pas d’une fraction, d’une miette d’un cœur qu’on effrite. Mes amours adolescentes, superposées, entrelacées. Toutes et tous, mon cœur les a accueilli.es. Il faut dire qu’il y a de la place, dans un cœur d’enfant.

Pourquoi faudrait-il, vers le milieu de la vingtaine, préférablement juste à la fin des études, lorsqu’on sait à peu près ce que l’on veut mais qu’on est encore assez flexible pour adapter ses projets, décider comme ça, d’un seul coup, de vider son cœur de tout l’amour qu’il peut offrir et de ne laisser de la place que pour une seule personne ? Tant pis pour les autres, pour toutes les belles personnes qui croiseront notre chemin, ces magnifiques êtres avec qui l’on pourrait partager tant.

Sorry dear, je ne peux pas t’aimer, j’aime déjà ailleurs. Et si je veux t’aimer, je dois d’abord arrêter d’en aimer un.e autre.

Déplacer cet objet fini qu’est mon amour d’une personne à une autre, parce que mon cœur est dur et ne peut pas s’étendre ? Etrangement, il a pu s’étendre toute mon enfance et pourra accueillir toute une tribu si j’ai un jour des enfants. Mais pour toi, là, maintenant, il ne peut pas. Comment le pourrait-il ?

On nous bombarde de films, séries, livres, d’histoires d’infidélités présidentielles, où l’évidence de l’amour comme quantité finie n’est même pas remise en question. Si moi, aujourd’hui, je t’aime, et je les aime aussi, on me dit que je ne suis pas normale. Que je ne me respecte pas, que j’ai peur de choisir, de m’engager. On me méprise. On me « salope ». Je me débats.

L’amour ne peut et ne doit être considéré comme répondant à une quantité finie. L’amour est un élan, un mouvement de moi vers toi, mais aussi vers toi, et toi, et vous là-bas. Je veux pouvoir donner, donner. Donner à une seule personne, si je le veux. Donner à plusieurs, aussi.

Tu es mon âme sœur, mais je n’ai pas qu’une sœur, le Monde est mon âme sœur.

Sonirii

Dessin: Aux quatre coins de l’image des visages aux lèvres rouges envoient des cœurs qui se mélangent tous au centre.

Illustration par Ookah.