Elle se souvient de ce que le médecin lui avait dit : “Vous n’êtes pas malade, tout va bien.” Corps cliniquement en bonne santé, peu importent les débris intérieurs.

Les débris intérieurs. Quand elle était détruite, en morceaux, mais savait encore sourire, ce médecin lui a expliqué que son sourire valait bonne santé. Tout allait bien. Sujet suivant. Digérer, alors. Digérer les nuits blanches et les peurs nocturnes, digérer que ce n’était rien, que tout allait bien. Digérer les douches multipliées et la souillure, digérer l’indifférence à soi-même et la cohabitation de la haine. Digérer que tout allait bien, il n’y avait pas à s’en faire. Elle savait encore plaisanter ; elle plaisantait tellement souvent, dans ce bureau ; elle ne pensait pas que la plaisanterie serait le poignard qui l’achèverait.

Alors elle a longtemps cru qu’elle ne guérirait jamais. Comment guérir d’une maladie qu’on ne porte pas et qui n’a pas de nom ? Guérit-on quand le mal dont on souffre n’est pas maladie ? Elle a longtemps cru qu’elle était perdue et qu’elle mourrait ainsi : isolement. Puisque tout allait déjà bien. Tout allait déjà bien.

L’absurdité.

L’absence jusqu’aux mots pouvant décrire le mal, l’absence de sens, l’absence aussi d’intérêt envers elle-même. La vie qui continue, les nouvelles rencontres, l’apprentissage de nouveaux sourires, porter de nouveaux masques. L’univers nouveau a ceci de bon qu’il est garant d’anonymat. Elle s’y est perdue jusqu’à ne plus jamais être invisible : guérison par l’amour. Croyait-elle.

Les débris intérieurs ne s’éloignent jamais vraiment : rongent. C’est découvrant ces morceaux d’elle-même rongés, dépecés, disparus, qu’elle prit conscience : elle ne serait plus jamais entière.

Stéphanie

unnamed Illustration par Emilie