Quand j’étais petit, comme beaucoup, j’ai été programmé, codifié par des gens eux-mêmes formatés par nos codes de société. C’était une évidence, c’était logique : un jour, j’aurai une femme, une baraque, des mômes, un chien, une réussite scolaire et professionnelle, parce que, hein si t’as pas le bac, ah non non non, des crédits, une belle caisse et je serai de toutes façons heureux parce que je remplirai toute les cases de la réussite.
Ado, je m’en foutais un peu des nanas, j’avais mes potes, on se lâchait pas depuis la maternelle, on faisait nos conneries ensemble, pas de place pour les gonzesses là-dedans. Je suis parti très tôt de chez moi et j’ai dû bosser très jeune pour pas crever la dalle. Merde, ma réussite sociale ! C’est mal barré… mais ça choque pas vraiment non plus : je reste dans la norme, dans les clous et me voilà dès 15 ans obligé de me driver et bosser.
Y a que les bars qui ont bien voulu m’embaucher. C’est cool, y’a des gens, de la musique, on se marre, y a pas mes potes d’enfance mais il y a autre chose que je ne connais pas bien : les meufs. C’est fou ça, je viens de me découvrir une passion. Les meufs. Les mêmes que je voyais autours de moi, qui faisaient partie de mon décor mais auxquelles je n’accordais aucun intérêt. Et là, d’un coup, y’en a plein, elles m’aiment bien, je m’en rends compte et c’est cool. Barman, c’est un chouette job. Sans hésiter, je me suis laissé aller aux jeux parallèles de mon taf : la drague ou la débauche plutôt, j’avais ce que je voulais, mon statut de barman m’aidait bien, alors pourquoi me priver. Et me voilà parti à découvrir les joies de la baise incontrôlée, frénétique, mêlant alcool, drogues, boites de nuit et perte de mémoire. Je me faisais des grands chelem, des défis, j’avais plein de meufs en même temps mais je faisais bien gaffe à qu’elles ne se croisent pas au comptoir hein. Pourquoi ? Je sais pas. Mais c’est comme ça. Fallait pas. Faut pas qu’elles se croisent, les nanas. Ça n’a pas toujours marché et je me suis parfois fait gauler, ce qui m’a attiré des problèmes pro, quand certaines venaient au bar pour me jeter à la figure mon caleçon oublié la veille chez elle, quand d’autres venaient dire à mon patron qu’elles n’en pouvaient plus de mon comportement et de mes infidélités…. Je faisais rien de mal, j’étais juste pas clair parce que qu’on t’apprend pas à être clair alors faut se planquer et la jouer scred sinon ça fout la merde. Pourquoi ? Je sais pas. C’est comme ça.
Et puis un jour, y’en a une que je n’avais jamais vue qui est entrée dans le bar. J’ai compris que c’était différent, dans mon bide, ça m’a fait un truc que je connaissais pas vraiment. Alors, j’ai fait en sorte qu’elle me repère, je lui ai parlé, on s’est revu, on a fait un môme. Là, je me suis dis : “finies les conneries, elle, tu l’aimes alors tu ne fais plus de la merde”. J’ai juré fidélité et dégagé toutes les nanas qui gravitaient autour de moi. Fidélité du cul, parce que c’est comme ça la vie, tu sais la meuf, les mômes, le chien, la baraque… Evidemment en loosdé je matais des pornos et puis y avait bien d’autres nanas qui me plaisaient, que je trouvaient chouettes, mais non, laisse tomber, fantasme le truc en cachette si tu veux, mais pas plus, mon gars et puis surtout, hein, tu n’as d’yeux que pour elle, reste sage et tout ira bien.
Et puis elle m’a largué, elle s’est barrée avec mon pote. Hein ?! Qu’est ce qu’elle a fait ? Salope, trahison, j’ai donc naturellement défoncé mon pote. Oui, tu comprends : c’est comme ça qu’il faut faire, on me l’a appris, je suis un mec j’ai des couilles et puis elle était à moi !
Je suis retourné à mes occupations et à ma consommation de célibataire. Oui, tu comprends : là, c’est légitime, j’ai pas de meuf, je fais bien ce que je veux ! Même schéma, alcool, drogues, boites, meufs non-stop. Oui, tu comprends : moi j’ai la classe quand je suis célibataire, je fais ce que je veux mais quand j’ai une meuf je suis carré, tu vois !
Entre temps, j’avais arrêté les bars et rencontré ma pote de galères. On se racontait nos vies en zonant, elle avait deux mecs, ça me faisait marrer et moi j’avais des copines, vite fait. Elle me filait un écouteur et on écoutait de la musique, à la pause, assis sur le trottoir. Et puis un jour, j’ai refait la même : croisé une nana, ça m’a fait un truc dans le bide, je me fais remarquer, je vais lui parler, on rigole, on s’aime et on fait un môme. Me revoilà dans mon rôle de mec fidèle qui se branle en cachette et qui mate en loosdé, mais c’est pas grave le principal, c’est que je ne parle même plus aux autres meufs et je dis à ma pote que je ne veux plus écouter de musique avec elle.
Un jour, MA meuf, celle à qui j’appartenais et qui m’appartenait, elle a trouvé ça marrant de commencer à me latter la gueule. Alors, j’ai appelé ma pote de galères. Ma pote, les violences comme ça, c’est son terrain de jeu, elle connait, alors elle m’a dit : “casse-toi de ces emmerdes”. Je lui ai dit que je ne savais pas où aller, elle m’a dit que c’était pas une bonne raison pour rester et elle a proposé de m’héberger. Je me suis dit qu’on allait peut être niquer. Et puis, quand je l’ai revue, après des années, je me suis rendu compte que j’avais pas juste envie de ça, je voulais passer du temps avec elle, mais elle avait un mec alors je me suis dit : “s’il y en a déjà un, il peut pas y avoir moi aussi”. Je lui ai dit n’importe quoi pour couper court et bousiller mon envie. J’ai cru qu’elle allait me dire “on reste potes et voilà”, elle m’a même filé son pieu quand je voulais ramener des meufs mais elle voyait comment j’en parlais et elle m’a dit : “sérieux, c’est quoi ton comportement ? C’est quoi ta logique ? C’est quoi ton problème ? C’est quoi ces conneries ?”
Petit à petit, on s’est rapproché. Un jour, dans son lit, on s’est beaucoup rapproché et puis elle m’a dit : “Arrête. D’abord, je veux en parler à mon mec”.
– Hein ? t’es ouf ! Non, on lui dit rien, en plus, c’est mon pote, aussi.
– Voilà, tes réflexes pourris, le mensonge, le truc caché, parce que t’es formaté. Tu me plais, lui aussi, je vous veux toi et lui. Je mentirai pas. À personne. C’est toi qui voit.
– T’as raison, merde, t’as raison, c’est évident. Soyons tous heureux, c’est vrai, après tout. Mais j’ai jamais appris ça, j’ai appris que je devais être jaloux. Je dois être jaloux, c’est quoi ce bordel, t’es à moi. Mais non putain, t’es pas à moi, t’as raison, et puis, je te veux heureuse, c’est ça mon but.
Vas-y.
Je n’ai pas été confronté longtemps à ce partage car leur histoire à tourné en quelques mois et on a avancé tous les deux. Mais je savais que je n’étais pas à l’abri d’une nouvelle tête dans MON couple. Un jour, elle m’a dit : “tu sais, j’ai pas de plans, je ne suis pas en quête de quelqu’un d’autre, ça arrivera si ça arrive et si c’est pas le cas c’est pas un but en soi”. On a avancé un peu en mode duo et puis un jour ce que je redoutais est arrivé. Elle m’en a parlé, elle m’a dit : “lui je l’aime bien, c’est un chouette gars mais je te sens toujours pas à l’aise avec ça, faut que tu comprennes que ça n’a rien à voir avec toi, ça ne concerne pas notre relation, fais-moi confiance et fais-toi confiance.”
Vas-y.
Y’a eu lui et y’en a eu d’autres et à chaque fois j’étais un peu relou mais pas énorme non plus car mon processus de déconstruction était en cours et je voulais y arriver. J’avais besoin d’être rassuré, elle a su me rassurer, plusieurs fois, à chaque fois. Et j’avais décidé d’être honnête avec moi-même : elle avait raison, rien n’avait changé, je la voyais tout autant, elle me disait je t’aime, on partait en vacances, on se marrait et elle était heureuse. Pourquoi je me prenais la tête, sérieux ? J’ai eu plus de mal à franchir le pas de mon côté, elle me disait : mais vas-y si t’en as envie, mais ne fais pas n’importe quoi et pour de mauvaises raisons, réfléchis. Oui, la déconstruction ça prend du temps, se défaire des mauvais réflexes comme la culpabilité, aussi.
Et puis j’ai franchi le pas, je lui ai dit, elle était contente pour moi (Oui. Tu lis bien, elle était contente que je sois bien). C’est une bête de meuf. Aujourd’hui, notre relation à changé, très peu, mais elle a changé parce que c’est mieux comme ça. Aujourd hui, je ne me sens coupable de rien dans mes relations, aujourd’hui je suis content d’avoir déconstruit.
Finalement, j’ai compris que ma plus grosse crainte dans une relation poly c’était pas tant l’acte (bite, chatte et compagnie) c’était le mensonge, c’était l’abandon.
Maintenant je suis content, je m’amuse, elle s’amuse, je l’aime, elle m’aime, on les aime !! Eh ouais, ma gueule !
Manu

Dessin en noir et blanc de corps d’hommes et de femmes emmêlés, qui se touchent et s’embrassent.
Illustration par N.O.