Le jugement que je porte sur ma propre sexualité change beaucoup avec mes avancées dans le féminisme. Je sais pourquoi tout est si compliqué avec tout le monde (et relativement moins compliqué avec celui avec qui je vis – cette parenthèse est importante, ça veut dire qu’il existe une marge de progression que c’est pas un truc figé immuable).

J’ai passé seize ans de sexualité active à ce qu’on m’enseigne que le sexe, c’est un mec qui jouit et potentiellement, quelqu’un ou quelqu’une qui l’aide. Dans cet apprentissage-là, j’ai branlé, sucé des mecs, et subi des pénétrations avec ou sans douleur, majoritairement sans plaisir mais avec douleur pendant cinq, dix, quinze, trente, quarante-cinq minutes…
Je pense qu’aucun de mes partenaires n’a jamais passé plus de trente secondes à me faire un cuni. Paye ton asymétrie. Aucun mec n’a eu de crampes en me faisant ça (il existe même pas de verbe c’est beau). Aucun mec n’a souffert physiquement en me faisant ça. C’est pas mon objectif ultime, hein. Mais c’est révélateur d’un truc pourri. Le plaisir d’une meuf ne vaut pas plus de trente secondes. Le but c’est qu’elle soit assez mouillée pour qu’on puisse la fourrer confortablement. Et encore. Certains te flattent l’encolure quand tu les sucent, vont chercher une capote et sans t’avoir caressé avec leur bouche (ce que de toutes façon j’aurais refusé) ni même en te touchant avec leurs doigts (même pas pour voir si tu mouilles ?!!!?!?!) essayent de te pénétrer.
Et que tu exprimes une demande ne change rien. Tu es une meuf, tu es au lit avec un mec cis, tu ne seras pas écoutée. Tu veux une autre position ? Tu veux qu’il te touche ? Tu veux qu’il mette une capote ? Tu veux qu’il arrête ? Et bien tu vas – littéralement – juste te faire foutre. #menaretrashinbed

Ils voient le pieu comme une arène où exprimer leur virilité. Et demander l’avis de quelqu’une, ce n’est pas viril, respecter une consigne, ce n’est pas viril. La culture du consentement, en somme, ce n’est pas viril. C’est « un truc de tapette ». Évidement, tu es le taureau dans lequel ils veulent planter leur banderille.

Fuck cette merde. Et c’est tordu que dans ce contexte, je continue de pratiquer la pipe de mon côté. Même si ça m’excite. Car je suis en face de mec qui n’ont même pas la présence d’esprit d’utiliser leurs doigts pour s’occuper de moi pendant ce temps-là. 
L’avantage de cette pratique c’est que je suis en contrôle (pour une fois) (contrôle relatif hein, on est d’accord).
Dans ces conditions, c’est la grève du sexe. Et même si c’est moi qui dis non à des cunis et que respecter mon consentement c’est important, je trouve immensément triste qu’en seize ans de sexe, personne ne m’ait dit : « non mais attends, en trente secondes, tu peux rien ressentir, faut continuer si tu veux espérer un frisson. » Alors que de l’autre côté, des mecs qui m’ont dit : « continue, t’arrête pas, si je viens pas je vais avoir mal aux couilles, encore une minute (quinze, en fait) » etc., y’en a eu…
Tous en fait. Tous m’ont dit ça. J’ai été avec une fille. Parce que j’étais curieuse du sexe et du plaisir féminin et elle aussi. Ça ne m’a pas vraiment plu. Et à elle non plus. Rendues à un certain point, on ne savait juste plus quoi faire. Personnellement il me manquait une queue. Soit sur moi, soit avec moi, dans le lit, rattachée à un mec pas trop idiot de préférence. Mais voilà, comment imaginer le sexe lesbien cis quand tu a toujours compris que le sexe c’était un mec qui jouit ? C’est insoluble ! C’est super triste aussi. Les plans à trois que j’ai pu faire, avec deux filles et un mec, se sont TOUS soldés par le mec qui jouit et les filles qui sourient et on s’arrête. Try again later. Et le plan à trois que j’ai fait avec deux mecs s’est fini avec un mec qui était venu et un qui m’a limée pendant je pense plus de quarante minutes (paye ta chatte derrière ça) sans succès. On peut s’arrêter mec tu sais, si tu viens pas, tu ne vas pas mourir.

Les mecs, si vous ne venez pas, votre teub ne va pas fondre, je vous le garantis.

Donc voilà, tentative de sexe lesbien cis morte dans l’œuf, tuée par l’absence de pénis ! Merde j’écris comme un mascu mais c’est ce que j’ai ressenti.
Et c’est frustrant car je sais faire juter des bites (désolée pour le mot mais c’est celui qui traduit le mieux ma pensée) depuis que j’ai 13 ans mais des chattes je pense pas y arriver un jour dans ma vie. Aucun mec ne m’a appris en même temps. Sur mon corps à moi quoi. Je suis jamais venue avec la langue ou les doigts de qui que ce soit (sauf avec la personne avec qui je vis. INCROYABLE C’EST DONC POSSIBLE !)

Mes orgasmes ont jamais été avec ces mecs l’objectif de nos sessions jambes en l’air en même temps. Ils étaient au mieux des accidents collatéraux, au pire un inconvénient si je venais avant eux : il fallait continuer à coucher après être venue, et ça messieurs ça fait mal (et bien plus mal que des « couilles non vidées » mais vous le savez pertinemment, vous en avez juste rien a battre de notre douleur, comme de notre plaisir en fait).

Dessin au feutre noir : portrait jusqu’à mi-dos d’une femme nue dont l’on voit le dos et dont les longs cheveux bruns couvrent la poitrine. Elle regarde vers nous, de trois-quart, visage fermé.

Crocodile

Illustration par Thi Gomez