À Sophie, Jack Parker et tout-e-s les autres…
Flashback. L’avenue déserte et dégagée. Pleine journée. Je marche d’un pas rapide et déterminé. Droit devant. Tenue correcte – comment est-il encore possible que je m’oblige à le préciser ? Empirique réflexe de légitimation, très surement. – Au loin, un gars, direction opposée, même cadence. Par habitude, j’anticipe le moment où mon corps va le croiser. Attitude neutre, regard fixé vers un point imaginaire traversant son enveloppe corporelle. Je prends trois secondes surréalistes à réaliser ce qui vient de se passer : une main au cul poussée d’un doigt intrusif en guise d’échange. Il continue sa route et sur le coup, j’ai continué la mienne, un peu trop sur ma lancée confiante.Je stoppe net. Interloquée, bouche ouverte, ébullition sanguine, smog dans l’encéphale. Au plus profond de moi de moi, surpris,
IL émerge et prend les commandes.
IL me fait faire volte-face et d’une voix tout sauf fluette, me fais dire : « Quoi ? Tu as fais QUOI là ?! » La réponse ? Même dans un sketch avec des rires enregistrés, je ne l’aurais pas imaginée : « C’est bon, c’est pas moi ! » À l’intérieur,
IL se redresse de tout sont long, fou de rage, comme à son habitude. À l’extérieur, tout mute en western moderne : mes pupilles se dilatent, le ciel s’assombrit, des balles de coton imaginaires traversent l’avenue vide. En face, mon adversaire, à une distance favorable au duel. Je lance : « Mais en plus, tu te fous de ma gueule ?! »Au dedans,
IL est près à sortir.
IL est né de ces coups trop reçus qui ont transcendé toute peur de les recevoir, de l’anesthésie de la douleur physique qui ont fait sa force.
IL est une entité composite de colère profonde, de fureur même, d’idéaux, de revanche, de violence et d’amour propre. Sa destinée,
IL la connait : protéger coûte que coûte celles et ceux qui ont subi, subissent et subiront, celles et ceux qui ne sont pas doté-e-s de son abnégation des dommages collatéraux.
IL se nourrit des états de fait de la souffrance des gens qu’
IL aime ou parfois qu’
IL ne connait pas.
IL est à présent bien réveillé et sait trop bien ce qu’
IL va faire pour s’octroyer le temps d’organiser un auto-référendum en interne, avec tous mes autres
MOI à cet instant-même.
IL guide mon corps qui fond sur ce mec, pourtant baraqué et patibulaire mais affaibli, face à la surprise de ma vive réaction que son sentiment d’ impunité n’attendait pas. Mon avant-bras droit plaque sa gorge contre le mur, tandis que mon poing gauche le gratifie d’un généreux taquet entre son thorax et son épaule gauche. Amnésie de ce que simultanément, je lui hurle.
À l’intérieur, j’essaie de le canaliser : je sais qu’IL souhaite beaucoup plus ; IL veut voir jaillir la couleur pourpre du sang, sentir des os se briser, entendre un muscle vital s’arrêter mais mon instinct de survie et sa pote la raison le dissuadent de continuer. IL est parfois un peu trop sûr de lui et nie les risques, jusque à en devenir parfois mon propre ennemi, IL le sait. Marche arrière, sans quitter l’autre du regard, tout en lui déversant un « Jamais plus mec !!! »
La distance physique est rétablie, tout comme l’opportunité pour l’autre de s’excuser, de rattraper un semblant d’intégrité et puis de tracer, mais il a trop mal à l’ égo, malmené par un mètre cinquante huit de légitime colère en face de lui. Il pense le réhabiliter par un « Va t’faire foutre ! » Replay. Second taquet. Mon avant-bras, sa gorge, le mur, mon poing gauche, son thorax, son épaule gauche et encore des flots de mots rageurs qui échappent à mon contrôle, guidés de l’intérieur. Trop déstabilisé, il finit par dégager fissa alors qu’il aurait très surement pu me démonter.
Dans moi, IL a fait son taf. Epuisé, IL se rendort, me laissant avec les jambes en coton, une respiration saccadée et des idées confuses. Un coup de fil à mon mec qui baigne dans l’incompréhension : « Quoi ? Qui ? Où ? C’est quoi ce délire, calme toi, je ne pige rien ! » Laisse tomber chéri.
Une fois chez moi, j’essaie d’établir la médiation et l’équilibre de tous mes hôtes intérieurs pour expulser et passer outre. Je me contente d’exprimer et de relater les faits brièvement et publiquement sur le le mur virtuel du gros réseau social. Les réponses ? Bigarrées. Emphatiques, compréhensives, et parfois moins : « Encore ? Mais protège toi un peu plus ! » , « Arrête de prendre des risques inutiles », « Arrête de tout le temps t’insurger », « Ton idéalisme te perdra un jour », « C’est bien mais ça ne sert à rien ».Le temps dilue les évènements et ses ressentiments. Une semaine s’écoule. Zen, je sors du métro et gravis les marches pour atteindre l’asphalte sociale. Soudainement, je ressens quelque chose d’oppressant. On me suit. Je renonce à m’y attarder une fois de plus. J’accélère le pas mais on me court après, m’interpelle, même : « Hey, attends ! » Je me retourne, surprise. Un inconnu. Il me fait face. « Je voulais te dire… Pour la dernière fois… Je n’aurais pas dû… Je voulais te dire que… Je suis désolé… Excuse moi. »Moment de flottement. J’en veux à mon incurable manque de physionomie mais là, une ampoule tilte et s’allume. La même qui plus tard, diffusera une mince lueur d’ espoir : c’est LUI. Déstabilisée, je négocie ferme avec les habitants du dedans et on s’accorde pour la jouer constructif, quitte à prendre un peu sur soi. Il est est toujours planté là. « OK. Contente de l’entendre. Tu sais, j’ai réagi aussi pour toutes les autres meufs qui… » Et lui : « Heu, oui oui, mais c’est bon là… Salut. »Ce n’était pas une réponse parfaite, tout n’est pas encore gagné mais à ce moment là, j’ai souris et à l’intérieur, une écaille lumineuse a poussé sur le front de mon dragon.
http://missdigriz.com/2014/03/16/dragonaut-projet-vs/

Illustration par Carolyne Missdigriz
Génial ce texte, merci…
[…] Lien de ce texte au sein du projet VS : Polyvalence – VS – Dragonaut […]
Ça me rappelle cette fois où je me suis pris une main au cul dans la rue, celle qui a fait redescendre immédiatement ma joie de ressortir une petite robe légère et des tongs pour fêter le retour du soleil estival. Le temps que je percute et que je me retourne, le mec avait détalé. Un jeune, très jeune. Je me suis demandé s’il avait pas des potes cachés dans un coin pour l’observer réussir un pari. Ce mec je ne l’ai pas croisé, il m’a suivie de lui-même pour me tripoter le cul. Petite merde.
Grosse grosse fatigue de lire des textes dans lesquels la victime du harcèlement ne comprends rien, est humiliée, etc. Je voudrais qu’on ai toute cette force de réagir, malgré notre éventuelle infériorité en matière de muscles, malgré notre peur, je voudrais qu’on puisse, à l’aide de mots ou de baffes, leur imprimer dans le cerveau qu’on est pas des produit à l’étalage sur le marché du plaisir, sexuel ou visuel. Nous sommes des êtres humains. Je t’admire beaucoup, pour ce minuscule pas de fourmi dans la reconquête de notre intégrité, de notre identité.