Tout commence par la découverte de sensations, en toute innocence au début.
Sauf que ça a duré.
On te dit ce qui n’est pas bien, ce qu’il ne faut pas faire, ce qui est interdit mais ça, on ne t’en parle pas, parce que c’est une évidence. J’ai du mal à me rappeler comment ça a commencé, je me rappelle en revanche parfaitement comment ça s’est fini :
Mon premier orgasme j’avais peut être 8 ans, c’était absolument nouveau et génial, une grande sensation, quelque chose qui peut tout vaincre, la magie du corps. Ma première image pornographique je devais avoir 9 ans, j’étais fascinée par cette imagerie, sexy, assumée, sans tabou ; la femme qui sait ce qu’elle fait. Je trouvais ça plutôt beau, une esthétique qui me plaisait, que j’ai même dessinée. Ma première pelle j’avais peut être 10 ans et c’était dégueulasse, humide, honteux, détestable. Ma première pénétration j’avais 13 ans, et mon enfance est morte, l’intrusion. Tout cela avec la même personne, en qui j’avais confiance, que j’aurais pu aimer toute ma vie : mon frère.
Après, plus rien.
Je me rappelle qu’une chape de plomb s’est abattue sur moi, que je ne voulais pas, que c’était mal, que ça me dégoûtait, que je n’avais pas envie mais que c’était comme ça. Je me souviens de cet instant où j’ai perdu tout ce qui faisait de moi une sœur. L’amour, la confiance, l’admiration. Cet instant où je me suis senti flouée, dégueulasse, minable, trahie par mon sang.
J’ai inventé une histoire à ma meilleure amie à l’époque, à qui j’ai dit que je n’étais plus vierge, parce que c’était un changement, quelque chose m’était arrivé. Je lui ai raconté une histoire absolument impossible, comme celles que je lisais dans les SAS de mon papa, tout simplement parce que j’étais encore une petite fille et que je ne savais même pas comment ce genre de chose arrivait dans un cas normal. Après, je me suis efforcée d’avoir une nouvelle expérience sexuelle avec un amoureux pour avoir une vraie histoire à raconter et du même coup effacer la première. La fausse, celle avec laquelle je m’emmêlais les pinceaux. Au moins, la nouvelle je pourrai m’en souvenir telle qu’elle serait. Malheureusement, elle fut désastreuse. J’en ai parlé dans mon journal. Ma mère l’a lu et elle m’a engueulée, me disant que j’étais irresponsable à mon âge de faire ça avec un garçon… J’ai tellement pleuré en moi-même.
Un jour c’est sorti, je lui ai dit, à ma mère, parce que j’avais envie de la frapper en plein cœur, parce que pour la énième fois elle s’inquiétait pour lui, elle se demandait ce qui avait bien pu faire pour qu’il ait si peu confiance en lui. Elle a pleuré, elle a eu mal, pour elle-même et peut être un peu pour moi. Mais c’était trop tard, j’étais trop grande.
Et un jour j’ai vu son visage, le visage de mon frère. J’étais avec mon premier grand amour, j’ai même ressenti que c’était lui en moi, j’ai détesté ça. Je me suis dégoûtée, je ne pouvais plus mais j’ai continué parce que mon amoureux n’était pas au courant et que je ne pouvais pas le dire, ça a duré plus d’un an où je revivais ça à chaque fois, mon amoureux, lui, n’a rien vu bien sûr, mais si, il se rendait bien compte que j’avais honte de moi, qu’il n’avait pas le droit de me voir nue en pleine lumière, je détestais l’idée d’être attirante. Alors j’ai enfoui encore plus profondément tout ça.
Alors je vis avec ça, j’ai oublié, je me suis forcée.
Après toutes ces années je n’y pense plus, j’ai réussi à bien enterrer tout ça. Loin, loin très loin, dans une autre vie ou un autre moi. J’ai du mal à me voir grandir, à voir ce que je suis à présent, je suis toujours étonnée de faire face à l’adulte, d’où vient-elle celle-là ?
Fkwz
Illustration par Lou