Je suis encore passée devant le Bataclan tout à l’heure. Ça sent toujours la mort. Et si moi je la sens à l’extérieur, ça sent quoi, à l’intérieur ? Et il y avait tous ces mecs en blanc. La police scientifique ? Mais qu’est-ce qu’ils cherchent, trois semaines après ?
Depuis les attentats, je sors durant la journée, je sors le soir, chaque soir, je vois mes ami-e-s.
Sensation étrange de vouloir vivre à fond ce qu’il me reste à vivre, parce que je sais que je peux être abattue à tout moment; maintenant on meurt aussi de ça, dans mon pays.
Alors je sors.
Je veux profiter des mes ami-e-s avant de mourir.
Avant, j’étais plongée dans une profonde dépression qui m’a poussée à maintes reprises vers des pensées suicidaires.
Maintenant je me dis : « quitte à crever, autant que je m’éclate avant ».
Le non-contrôle de sur mort me donne envie de profiter de la vie.
Ma dépression ne s’est pas envolée, mais finalement, je vois mon temps de vie, « mon avant-mort », d’une manière différente. Et ça me conforte dans l’idée qu’on vit vraiment dans un monde où les gens sont pourris. Et quelque part, ça me soulage. Enfin, je ne sais pas si c’est le bon mot. Le monde extérieur confirme ce que je pense en mon for intérieur.
Je sais que ça se passe dans le monde tout le temps. Mais là, c’est chez moi. Le monde est donc bel et bien sclérosé, je le savais. Je le sentais.
E.B.

Photographie : montage de plusieurs photographies d’une ruelle et d’un escalier avec arches donnant sur un espace vert, jeux de lumières et de superpositions.
Illustration par Emilie Pinsan