On ne m’a jamais battue, tabassée, violée. Physiquement, on ne m’a jamais brisée. Alors comment expliquer ? Comment trouver des mots sur une violence constante, permanente mais psychologique ? Violence psychologique souvent insidieuse et quelques fois clairement déclarée. Ces quelques fois, je vais vous les conter.

Au lycée, un.e membre du personnel d’éducation a raconté au proviseur que mon ex petite amie et moi avions une position suggestive à l’internat. Oui, s’asseoir dos contre elle, c’était une position suggestive. Peut-être, je n’en sais rien. Mais ça, ce n’est pas si grave. La leçon de morale paternaliste du proviseur, le recours à l’infirmière juste avant pour ne pas que je sois « trop énervée », le « c’est avant tout pour te protéger », le « vous feriez mieux aussi d’éviter de vous embrasser dans le lycée et à la pause cigarette », le « ce n’est absolument pas parce que vous êtes homos, on traite aussi les couples hétéros de la même façon », tout cela sonnait si faux en me faisant si mal. Et en m’enrageant tellement. Enragée parce que j’étais impuissante, devant me résoudre à baisser la tête et abdiquer, presque même à les remercier.

Toujours au même lycée, du jour au lendemain, j’ai été menacée. D’être tabassée à mort parce que j’avais l’audace d’embrasser ma petite amie pour la saluer. J’ai eu peur, trop, beaucoup trop. Alors, j’en ai parlé à une assistante d’éducation qui en a parlé à une conseillère principale d’éducation qui a donné rendez-vous à mes parents. Tout est allé très vite et, dans ce bureau à la porte ouverte, je me suis entendue dire que le lycée ne pouvait rien faire puisqu’il n’y avait pas de nom, pas de preuve, rien. Que ce n’était pas de leur ressort. Mais ce que tu peux faire, c’est déposer une main courante à la gendarmerie, même s’iels ne vont pas pouvoir faire grand chose sans preuve, sans nom, sans rien. Je ne l’ai pas fait. À quoi cela aurait-t-il servi ? Je n’avais rien, pas de nom, pas de preuve, rien. La CPE, mes parents, l’AED, iels m’ont demandée si ça allait, seulement pendant quelques jours, puis l’affaire fut classée, tassée, cachée. Pas une seule personne du personnel éducatif n’était au courant alors que les menaces nous concernaient, nous, deux ados dans la même classe. J’ai eu peur pendant des mois, à sursauter au moindre bruit, à éviter à tout prix de me retrouver seule, à demander à des ami.e.s de garder un œil sur ma petite amie lorsqu’elle partait et que moi, je me retrouvais cloisonnée à l’internat, entre les murs du lieu où j’étais menacée. J’ai eu peur, beaucoup trop, des ami.e.s s’inquiétaient, puis, iels ne l’ont plus fait, moi, j’étais toujours effrayée mais je me taisais.

J’ai toujours peur, moins, mais toujours cette appréhension, toujours cette angoisse dans la rue, dans un lieu connu ou inconnu, partout, de jour, de nuit, hormis peut-être chez moi quand tout est bien fermé à clé.

À la faculté, un homme a sous-entendu que j’avais violé une femme avec qui j’avais passé une très belle nuit empreinte de respect et d’envie partagée. J’étais enragée, en larmes et criais. Cet homme, jaloux ? lesbophobe ? (in)conscient de ce qu’il disait ?… était et est toujours dans une organisation politique de gauche, la jeune femme aussi. « On ne sort/couche pas avec des camarades. » On ne couche pas surtout avec cette camarade-là.

Plusieurs personnes de l’organisation ont appris ce qu’il s’est passé, ce qui avait été prononcé et fait. Tou.te.s se sont tu.e.s. À croire qu’iels avaient oublié leurs leçons de féminisme, d’anti-LGBTphobie et tutti quanti. On m’a par contre fait une leçon, à moi, parce que dorénavant il fallait que je fasse attention à ce que je disais à cette jeune femme puisque, « vu ce qu’il s’est passé entre vous, tu comprends, tu as certainement de l’influence sur elle, il ne faut pas que tu en profites. » Merci, monsieur le président (de l’organisation en question), merci beaucoup. À quel point j’ai été enragée, blessée par cette fausse accusation et ce manque total de réaction ! Mais j’ai baissé la tête parce que je n’ai jamais été très douée pour garder une rancœur déclarée. Et puis, de toute façon, à quoi bon ? L’affaire est classée, le président et moi avions « discuté ».

Et puis, à travers ces quelques passages de ma courte vie, il y en aurait tant d’autres aussi. J’ai été sifflée, insultée, bousculée, le plus souvent on me jette à la figure des blagues grasses et dures. Mais je dois baisser la tête et accepter parce que, vous savez, pour les « lambdas », ce n’est que de l’humour, ce ne sont que des imbéciles. Pour les milieux militants d’extrême gauche dans lesquels j’ai pu évoluer, la question des lesbiennes ne se pose pas puisque nous n’existons pas.

Un mélange de honte, de colère, de peur, de dégoût, de haine, de tristesse. La Rage. Qui ne cesse d’augmenter et que j’ai tant de mal à contenir sans me briser. Une rage telle que j’en pleure, j’en hurle, j’en ai peur.

Mais, après tout, tout ça, ce ne sont que de sales moments à passer, n’est-ce pas ? Ça ira mieux après.

Sale, c’est bien le mot, c’est moi qu’on salit, c’est moi qu’on détruit mais je me dois taire, c’est mieux ainsi.

Griffonage Lunaire

Dessin aux couleurs vives : sur fond noir, une image rectangulaire, plus haute que large. En bas, un drapeau LGBT (rainbow flag) chiffonnée et ensanglanté. En haut, une main ouverte et ensanglantée lâche une à une des lettres sanguinolentes qui en tombant, forment verticalement : OERIP. Le P est presque sur le drapeau.

Dessin aux couleurs vives : sur fond noir, une image rectangulaire, plus haute que large. En bas, un drapeau LGBT (rainbow flag) chiffonnée et ensanglanté. En haut, une main ouverte et ensanglantée lâche une à une des lettres sanguinolentes qui en tombant, forment verticalement : OERIP. Le P est presque sur le drapeau.

Illustration par Griffonage Lunaire