Toutes les personnes trans n’ont pas forcément été violées dans leur enfance, mais j’ai la malchance d’avoir cumulé les deux. Sans aller jusqu’à faire un lien de cause à effet, j’ai longtemps cherché les causes, justement, qui m’avaient poussée à me lancer dans d’interminables années de transition, si toutefois il en existe. Peut-être, peut-être pas.
L’une des motivations qui m’a convaincue de changer de sexe, c’était l’idée ancrée en moi depuis des années que si j’avais subi un viol en étant gamine – gamin, là, du coup, il y avait des chances que je viole à mon tour plus tard. C’est stupide, mais je l’entendais, je le lisais de partout, et ça m’a fait très peur. Je n’aurais jamais supporté de détruire comme j’avais été détruite. Du coup je me suis dit qu’en changeant de sexe, au moins, je me retrouverai désarmée et inoffensive… C’est assez atroce.
C’était un aspect de ma réflexion, une motivation supplémentaire et non la motivation première. En tout cas je me rappelle de moments où cette réflexion était très forte. Où j’avais l’impression d’avoir une arme entre les jambes, et où, putain, je voulais juste tout virer pour me retrouver désarmée, inoffensive, pour repousser la simple possibilité de pouvoir passer un jour de victime à bourreau. Parce que c’est fou, quand même ! On ne va pas jusqu’à changer de sexe parce qu’on veut fuir un schéma dont on ne sait absolument pas si il pourrait un jour se produire… On dit souvent que les bourreaux ont été victimes un jour, mais ça ne veut pas dire que les victimes seront bourreaux à leur tour, évitons les amalgames.
La fille qui était en moi était terrorisée à l’idée d’avoir ce corps armé qui l’avait déjà tant fait souffrir. D’un côté ça parait absurde, mais de l’autre ça souligne parfaitement le poids que peut avoir ce que l’on entend, de ce qu’on lit, de l’impact de la société et des réflexions présentées comme des états de fait. On parle souvent des victimes, des bourreaux, des liens qu’il y a entre eux, du point de basculement qui peut pousser l’un à devenir l’autre. Dans l’esprit d’un enfant, d’un ado, d’un jeune adulte, d’une personne en construction, en quête d’identité, ça peut avoir un impact encore plus important. On peut finir par se persuader de choses pourtant parfois très improbables, et continuer à se construire en gardant ces choses à l’esprit, comme un prétexte pour se dégoûter plus encore de soi-même, pour se haïr, pour se craindre.
Une personne trans ne se sent pas à sa place dans son propre corps, il y a souvent une volonté de se faire souffrir, de se détruire pour faire payer à ce corps d’être ce qu’il est et que l’on a pas choisi, ou juste pour avoir l’impression d’exister, parce que si ce corps souffre, et que je souffre, c’est bien la preuve que ce corps est le mien, malgré tout. Cette arme dont je disposais pendant les vingt et quelques premières années de ma vie, j’aurais pu ne pas la percevoir comme une arme, et si des milliards d’hommes et de garçons y parviennent, pourquoi pas moi ? Mais ça va chercher beaucoup plus loin que ça, et comme je l’ai dit, ce n’était qu’un argument à ma transition, pas un moteur en soi.
Alors finalement, est-ce la société et le lien que l’on fait aussi souvent entre victime et bourreau, la transition entre l’un et l’autre qui m’a donné cette crainte, ou est-ce que j’avais juste besoin d’un prétexte de plus pour me convaincre que changer de sexe était la meilleure – et la SEULE – chose que je pouvais faire ?
M.
Ce texte fait écho à ceux-ci : Respect et Accords et à cris.
Ah je reve d un monde où on parlerait davantage de ceux qui trouvent des solutions constructives a leurs souffrances sans qu il y ai de jugement, plutôt que de faire le procès de ceux qui reproduisent la violence. Je prefere la prevention, la recherche des causes, pour eviter les repetitions.
Merci pour ce texte.
Attention hein, je dis pas qu il faut excuser les personnes violentes, juste que tout n est pas si simple.
Merci. Je suis bien d’accord, le sujet est complexe. Si seulement on pouvait parler un peu plus des gens qui s’en sortent, qui vont bien, qui parviennent à s’épanouir après tout ça, ça donnerait un peu d’espoir, et ça ne serait pas de trop.