Eté 2010. J’ai quinze ans. Je suis seule, comme d’habitude. J’essaye de me battre, de me débattre, avec la dépression et l’anorexie. Je commence à réaliser que je n’ai aucun.e ami.e, personne qui s’intéresse à moi, avec qui je peux ôter mon masque. Avec mes parents, c’est pas forcément la joie. Ils ne comprennent pas. J’appréhende d’entrer en terminale. Je suis trop jeune. Alors je m’enferme sur Internet. Je fais des jeux de rôles sur des forums, c’est pratique, je peux être qui je veux, je n’ai de comptes à rendre à personne. Je joue avec un garçon et rapidement, il m’envoie des messages privés. Il est si gentil… Il me dit que j’écris vachement bien, que j’ai l’air intéressant. A quel moment a-t-il senti que j’étais fragile ? Quand j’ai mentionné vite fait que je n’allais pas dîner parce que je ne mangeais pas de toute façon ? De fil en aiguille nos conversations s’éloignent du jeu et on passe sur MSN. On parle tout le temps. J’apprends qu’il a 24 ans. Il sait que je suis au lycée. Une pensée fugitive me passe dans le crâne : il a rien de mieux à faire que passer ses journées à chatter avec une lycéenne, le type ? Mais je suis flattée. Et seule, et malheureuse. Ca compte plus que tout le reste. Il est très gentil, trop gentil, et on finit par s’échanger nos numéros de portable. La belle époque toute nouvelle des SMS illimités.
Un beau matin, il me dit qu’il est amoureux de moi. Il veut qu’on se « mette ensemble ».
Oui, sans jamais s’être vus. Sans qu’il sache rien de moi, finalement. Et oui, j’ai accepté. A 15 ans je venais de passer deux années de lycée odieuses, où j’aurais eu besoin d’être regardée par les mecs autrement que pour subir leurs moqueries et leurs insultes dégradantes. Il m’offrait de l’affection, ce type, gratuitement. En n’ayant vu de moi qu’un amas de pixels flous. Je crois que c’est de l’affection… Je dis OK, je dis banco. Je ne suis plus seule. J’ai « un mec ». Et il est plus vieux que moi. Il m’appelle « mon ange ». A ces mots, maître corbeau ne se sent plus de joie…
Plus tard, il veut qu’on se mette officiellement « en couple » sur Facebook. (je ne pourrais jamais utiliser assez de guillemets pour illustrer l’ironie de ces quelques mots) Je suis quasiment hystérique. Mes camarades de lycée, ces tortionnaires, vont pouvoir ravaler leur bile. Cette relation est pour moi une façade confortable. Un pansement. Ca me convient pour l’instant et je ne pense pas que ça ira plus loin.
Problème ! il se rend compte que j’ai 15 ans. Il me pensait un peu plus vieille, « genre seize ans ». La différence d’âge fait tâche. Il me demande de modifier ou de cacher ma date de naissance, pour éviter qu’il soit emmerdé par sa famille. Comme la conne que j’étais, j’accepte.
A partir de ce moment précis, son comportement change très subtilement. Je suis toujours son ange, mais il laisse échapper des trucs qui me gênent. Des questions. Tout ça par SMS, toujours.
Est-ce que tu te masturbes ? Je suis prêt à parier que non, tu es une petite pucelle innocente… il faut te pervertir… Tu mets les doigts ? Tu penses à quoi quand tu te caresses ? Moi je pense souvent à toi quand je me branle, tu dois avoir un corps fragile et doux…
Je suis flippée. Mais j’ai besoin d’exister au travers du regard de quelqu’un. Alors je réponds. Je trouve ça glauque mais pas assez en proportion de ma souffrance, que j’ai partagée avec lui, qu’il connaît, qu’il « comprend », dit-il. Je m’invente une vie sexuelle masturbatoire et des fantasmes que je n’ai pas. Pour ne pas le décevoir. Je suis sous son emprise. Je ne veux pas qu’il m’abandonne. C’est le prix à payer pour exister. Parallèlement, quand me retrouve avec de vraies envies sexuelles, absolument pas liées à lui, d’ailleurs, j’ai honte et je me dégoûte. Les ennuis de ce côté-là, qui dureront jusqu’à ce que je rencontre mon copain actuel, commencent.
Je parle de ce type à ma mère. Je lui mens. Je lui dis que je l’ai rencontré chez une copine, et je mens aussi sur son âge. Je prépare le terrain pour une éventuelle rencontre, mais la gêne est de plus en plus grande. Il me dit qu’il vit chez son père, mais dans un petit studio attenant. Avec un grand lit, « pour qu’on puisse faire connaissance », et une bonne isolation phonique. Je fais semblant de ne pas comprendre.
Je rentre de vacances, j’arrive en terminale. Je n’ai plus beaucoup de temps. Je suis très studieuse, et j’aime vraiment ce que je fais. Je commence même à me faire des copines, pour la première fois de ma vie. Je suis à l’internat, la vie est réglementée. J’alimente moins nos conversations. Je ne me souviens plus aussi bien de ce qu’il me disait. Il me reste les souvenirs très prégnants de ses « fantasmes », dont il m’abreuve. Moi dans telle tenue, qui ferais telle chose. Pas forcément ouvertement sexuelle, d’ailleurs. Il est dans la demi-mesure, il me met mal-à-l’aise mais ses insinuations sont si ténues que je ne sais pas si c’est justifié. Il pense tout le temps à moi. Je le sais puisqu’il m’envoie plusieurs SMS par heure. Je commence à sortir en soirées, j’ai enfin à peu près la vie que je souhaitais ! A des milliers de kilomètres de là, il me harcèle quand je mets plus d’une demi-heure à lui répondre, et me traite de pute qui aguiche et qui cherche la bite. Je m’excuse. Avec de moins en moins d’entrain.
J’avais déjà vu quelques photos de lui mais elles ne montraient jamais bien ses traits. Un jour il met la webcam sur MSN. Je vois son visage sans artifice. Je suis dégoûtée. Je le trouve moche. Il me dit tout de suite après qu’il veut qu’on se rencontre, et vite. Qu’il a hâte de toucher mon corps. Je prends peur, révulsée. Je le « quitte ».
Il commence à me harceler.
Je le bloque sur MSN. Je lui dis que ma mère fouille dans mon portable (ce qui est faux), pour qu’il arrête de m’envoyer des SMS. Je le bloque sur Facebook, et il crée de nouveaux comptes pour me renvoyer des messages. Un jour il dit qu’il va venir chez moi me raisonner, qu’il va me calmer, que je vais payer de lui avoir fait ça, de l’avoir « brisé », et que je suis une pute, une salope, de l’avoir fait espérer pour reculer au dernier moment. Je me mets gentiment à paniquer quand je me rends compte qu’il a mon adresse postale, celle de la maison de mes parents, là où il m’avait envoyé une lettre à l’époque de notre « grande idylle ».
J’ai peur qu’il mette ses menaces à exécution, mais je n’en parle à personne. Je me dis qu’il va se lasser. Et effectivement, les messages s’espacent et finissent par disparaître. Il m’oublie.
Je pensais l’avoir oublié aussi.
Mais je me souviens de son prénom, de son nom, de son visage, qui me dégoûtait tant. Hier, j’ai lu le billet de Mélange Instable et elle aurait pu tout aussi bien parler de moi. J’ai honte.
Honte d’avoir été aussi conne, aussi naïve, aussi bête. D’avoir été manipulée avec autant de facilité. D’avoir été aussi fragile.
Honte d’avoir culpabilisé quand je l’ai quitté, pensant que ma décision était motivée par la découverte de son physique que je jugeais ingrat. Quelle fille superficielle. Alors qu’avec le recul, j’ai surtout été frappée par son visage marqué, son air déjà si vieux quand j’étais encore si jeune. D’avoir culpabilisé, moi, l’aguicheuse. J’aurais dû aller jusqu’au bout, me disais-je à l’époque. Après tout, je l’avais aguiché longtemps quand même.
Quand j’y repense, oui, j’ai honte. Parce que j’ai été faible. Parce que j’ai fait n’importe quoi. J’ai énormément de mal à me dire qu’il est aussi responsable et qu’à 24 ans on ne demande pas à une gamine de 15 ans si elle met les doigts quand elle se masturbe. Peut-être parce qu’à l’époque déjà je faisais beaucoup plus vieille que mon âge, alors « ça ne comptait pas ».
Je me demande ce qu’il fait, s’il sait qui je suis, ce que je suis devenue, ce que je fais. Si, sans le savoir, on traîne sur les mêmes réseaux. Si, sans le savoir, il lit mon blog. Si, sans le savoir, il pourrait lire ceci, et se reconnaître. Se souvenir de moi, et recommencer à me chercher.
J’ai mal, j’ai peur, j’ai honte.
J’ai l’impression que justifier toutes ces bêtises sur Internet par le fait que j’étais seule et malheureuse, ça ne suffira jamais, alors que putain, ce que j’étais seule et malheureuse. Et lui, c’est quoi son excuse ?
– uji –
Illustration par Céline
Tu as vu la tronche du mec….Tu l’as trouvé moche….Raison suffisante pour ne pas te mettre en couple avec lui….Et c’est pareil avec un mec de 16 ou 17 ans….Attends! Tu as quand même le droit de refuser quand même! Si tu dis non et que le mec insiste (et en plus te traite de pute), désolé de le dire mais c’est un abruti (ce n’est pas une question d’âge mais une question de consentement (ou de désir, allons y!)……
Si un mec de 17 ans veut sortir avec toi et que tu n’en as pas envie, tu vas te forcer? Il a 24 ans et alors? Le mec est moche et tu n’as pas envie : en quoi le fait que le mec ait 24 ans changerait la donne?
Maintenant, ne t’inquiète pas, tu auras toute ta vie pour faire des trucs “honteux” sauf si tu désires entrer dans un couvent ou être à fond dans une religion ou dans le féminisme radical.
Bref, je ne veux pas juger ta vie future car en tant que femme, tu as les mêmes droits (ou vices) que les hommes….
2e commentaire : en ce qui me concerne, je ne demande jamais à une femme de se mettre des doigts ou de s’envoyer en l’air avec moi (même si elle a 50 ans!!)…Surtout sur facebook….Euh? Comment dire ça? ça fait un peu “crevard”, ou “attardé mental” de demander un truc comme ça…
Et en plus, si cette demande est affiché sur la page de ma mère, de mes frères ou de mes amis, je me taperais une “honte internationale” (alors, elle est de quelle côté la honte????)……En plus, si la fille est jeune, la honte devient énorme et ça pourrait se terminer par un suicide….Qui ne servirait à rien!
Non, non! Je déconseille aux mecs de faire ce genre de demande….D’autant plus qu’il existe des escrocs qui peuvent te pourrir la vie en te faisant le fameux chantage à la webcam en gros, c’est une fille qui demande au mec de se masturber devant la cam (ou l’inverse) et qui après menace de diffuser la vidéo en public si il n’y a pas de remise d’argent!
En gros, le touche pipi par webcam interposé, c’est dangereux pour tout le monde sauf si on n’a pas de pudeur!