J’ai tout lu. J’ai tout lu, et certaines histoires ont fait écho aux miennes, d’autres, heureusement, pas du tout.
Je me suis souvenue, même si je n’ai jamais vraiment occulté cette période de ma vie. J’étais gamine, et j’étais gardée par une maman, pas très loin de chez moi − mes parents travaillaient tard. Elle avait trois enfants, j’étais copine avec la fille, qui avait un an de plus que moi, et un peu amoureuse de son grand frère, avec qui je m’amusais bien. Je me souviens, de ces jeux qui me semblaient bizarres, qu’il voulait qu’on fasse dans la salle de jeux, sans sa sœur, sans son petit frère. Des frottements, des attouchements. Je ne me souviens pas des détails, mais je me souviens que c’était honteux, qu’il ne fallait pas en parler, qu’il ne fallait pas que ça se sache. Il me touchait là, il voulait que je le touche là. Bêtement, je pense qu’on pourrait dire qu’on jouait au docteur. Sa mère nous a surpris un jour. Et sa réaction, aujourd’hui, m’horrifie : il ne fallait pas qu’on recommence, ou sinon elle allait le dire à mes parents. Ton fils, ton connard de fils abuse de la gamine que tu dois surveiller mais, si ça recommence, c’est elle qu’il faut punir ?! Mais à l’époque, je ne comprenais pas que c’était lui qui était en tort. Il a arrêté après ça. Je crois.
Je n’en ai parlé à personne, longtemps. Je n’ai pas l’impression que ça m’ait fait du mal. Que ça ait altéré ma vision des garçons, des hommes, du sexe. J’en ai parlé à mon ex, j’en ai parlé à mon chéri actuel. C’est tout. Et j’en parle ici.
Je me suis souvenue aussi de cet « amoureux », au CP, cet âge tendre, qui voulait qu’on « baise »,. Je ne sais plus où il avait entendu ce mot. Moi, il ne me plaisait pas ce mot. C’était un mot de grand, et on n’était pas des grands. C’était un gros mot aussi et, à cette époque, je ne disais pas de gros mots. Il ne s’est rien passé, j’ai toujours dit non, même quand il disait que ça allait être bien, quand il me demandait d’aller derrière les buissons. J’ai toujours dit non. Ça devait être l’âge où l’enfant dit non.
Je me suis souvenue, à la fac, de ces mecs qui voulaient qu’on montre nos seins. Je l’ai fait, parce que c’était dans l’ambiance, parce que j’étais bourrée, parce que tout le monde le faisait.
Je me souviens des blagues sexistes aussi, auxquelles je participais parfois, mais que je n’ai jamais arrêtées.
Aujourd’hui, je jette un œil torve à tout ça. Ce n’était pas méchant, jamais, mais ce n’était pas gentil non plus. J’aurais pu faire quelque chose, peut-être.
Et puis, je me suis souvenue, même si là, c’est encore suffisamment frais, de toutes ces fois où je n’avais pas envie et où j’ai dit oui, pour avoir la paix. Il ne voulait pas comprendre que je ne voulais pas, que je ne voulais plus, que ça ne me disait rien. Pendant, bien souvent, je regardais le plafond en me demandant ce que je faisais là, et je me disais que je n’en avais pas envie. Et je le disais, pas toujours, certes, mais je le disais quand même les autres fois. Et il négociait. Il quémandait. Ou alors c’était l’engueulade. Parce qu’au début, j’aimais ça, parce que je savais qu’il voulait, tout le temps, et qu’il ne comprenait pas pourquoi je ne voulais plus. C’était ma faute. Alors, pour avoir la paix, je disais oui. Je laissais faire. Et je détestais, souvent, quand la nuit, il tentait des caresses, il se frottait contre moi, et que je n’avais pas envie, et que je laissais faire. Je détestais n’être qu’une paire de seins à agripper au passage, de n’être qu’un vagin sur patte, dont on se fout 80% du temps, dont on se moque des besoins, des envies. Je suis partie pour un détail, mais je suis partie, et j’ai décidé après ça que ça n’arriverait plus jamais.
J’ai l’impression que, dès qu’il s’agit de sexe, on culpabilise beaucoup les filles. Si elles ne prennent pas de plaisir, c’est parce qu’elles sont frigides. Si elles disent non, ce sont des allumeuses. Si elles ne veulent pas sortir avec toi, c’est que ce sont des salopes. Jamais de remise en question de la part du sexe opposé. Peut-être que tu t’y prends mal, peut-être que tu lui plaisais mais qu’elle veut attendre, peut-être que là, ce soir, elle n’a pas envie parce qu’elle a d’autres choses en tête, peut-être qu’elle est juste fatiguée, peut-être que maintenant qu’elle t’a mieux cerné, finalement, tu ne lui plais plus autant, peut-être que tu n’es simplement pas son type, peut-être qu’elle ne cherche rien d’autre, ce soir, en ce moment, que s’amuser et danser, sans se faire draguer par le premier type venu.
Aujourd’hui, j’aime la personne avec qui je suis. J’aime ce qu’on fait tous les deux, j’aime l’effet que je lui fais, j’aime l’effet qu’il me fait. Et je sais que si je dis non, c’est non, et ce n’est pas grave. Je l’aime aussi pour ça.
Marine
Illustration par Esk