– Tu te réveilles, et puis, bah, ce matin tu te trouves un peu grosse. Pas trop, pas énorme, mais tu te dis que tu serais pas mal avec 3 ou 4 kilos en moins, des fesses un peu plus musclées et moins de mollesse au ventre. Même si c’est pas trop, franchement, c’est pas indispensable. Alors tu te limites un peu, mais c’est pas trop frustrant, t’évites de manger entre les repas, tu ne te ressers pas à table. Tu diminues un peu les trucs gras et trop riches. Et puis ça marche, ta balance te récompense. Et tu te trouves plus jolie. Tu te dis que tes efforts ont payé. Que tu es récompensée. Que le regard des autres change un peu. C’est vrai ? Ou pas ? Le regard des autres est-il vraiment différent ? En tout cas, tu te plais plus comme ça et c’est l’essentiel parce que c’est toi. Alors pourquoi ne pas continuer ? Supprimer d’autres aliments, et puis encore d’autres. Mais c’est joyeux, ça paye, ça fonctionne. Tu peux faire ce que tu veux, tu contrôles de toute façon, tu sais ce que tu fais. Et tu continues, tu manges de moins en moins souvent, et des quantités de plus en plus minuscules. Et puis tu te mets à mentir aux gens, à tes parents, tes ami-e-s. Tu évites de manger avec ces personnes, pour pas qu’on t’embête, qu’on te pose des questions, qu’on s’interroge… Tu t’isoles. Tu restes chez toi, parce que sortir implique toujours de consommer quelque chose au bout d’un moment avec les autres. Et puis tu te dis que maigrir c’est bien, que ça te rend si belle, si pure, si énergique en plus. C’est fou à quel point t’as la pêche. C’est des conneries alors tout ce qu’on te racontait… Que la nourriture c’est comme un carburant, que t’en as besoin pour être en forme. N’importe quoi ! Tu t’es jamais sentie aussi éveillée ! Si seulement tout le monde s’en rendait compte et arrêtait de te faire chier ! Tout le monde serait euphorique comme toi !! Et t’as même la force de faire du sport, tu bouges tout le temps, tu ne restes jamais immobile, pas question ! Dès le matin, hop, au sport, jogging, abdos, step, le plus possible, ça brûle les calories, c’est génial, et en plus, ça sculpte. C’est ce que tu voulais, être mieux foutue. T’as réussi en fait ! Mais tu continues, ce serait con de s’arrêter en si bon chemin ! Maintenant que tu sais de quoi tu es capable, pourquoi s’arrêter ? Encore plus, toujours plus loin dans l’effort. Tu es si forte. Et puis tout à coup, ah, pas cool, tu vois des étoiles… Et tu tombes.
– Tu ne vas pas bien. Aussi loin que tu souviennes, ça n’a jamais été le mégabonheur dans ta tête. Ou alors si, mais ça s’est brutalement arrêté. En tout cas, tu te sens nulle, incomprise, seule, inutile… En décalage avec toi-même et les autres. Tu te dis que tu ne sers à rien, que tout ce que tu fais est pourri. Tu te punis, tu te fais du mal, tu l’as mérité, tu sers tellement à rien. T’es qu’un fardeau de toute façon. Tu prends trop de place, de la place inutile, qui emmerde tout le monde. Tu voudrais diminuer, disparaître. Alors tu arrêtes de manger. Tu fonds tellement vite, tu t’effaces. Tu gâches déjà un peu moins le paysage, on peut presque voir à travers toi. Et puis tu sers enfin à quelque chose, tu te sers à toi-même. Tu t’éduques, tu t’apprends à avoir un contrôle sur toi-même, toi qui n’as jamais su gérer quoi que ce soit. Enfin, ta vie prend un sens, ta tête bouillonne pendant que ton corps refroidit. Et puis tout à coup, ah, pas cool, tu vois des étoiles… Et tu tombes.
Anabella

Illustration par Flore Balthazar.
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