Ne jamais dire à une fille qu’elle est grosse. Les mots blessent et peuvent déclencher un mécanisme qu’il sera difficile, voire impossible, à arrêter.

 Lorsqu’on nous crie dans la rue qu’on a quelques kilos à perdre, on se rend soudain compte de l’image qu’on renvoie. L’image d’une fille en surpoids, laide, pas attirante et sûrement fainéante. Alors on se promet que plus jamais quelqu’un ne pourra nous insulter de grosse puisqu’à partir de maintenant on va maigrir, on va devenir la fille qu’on a toujours voulu être.

 Alors on pèse sa nourriture et puis il faut que tout tienne dans une petite assiette. D’ailleurs c’est simple on ne mange plus de nourriture mais des calories. On s’invente des règles qui nous rassurent : pas de petit-déjeuner, ne pas manger après 19 h… Puis on devient végétarienne, tout en faisant croire à tout le monde que c’est pour des raisons éthiques et pas pour perdre du poids.

 Perdre du poids, quoi de plus satisfaisant ? Satisfaisant pendant peut-être 5 secondes, avant de réaliser qu’on est toujours grosse et que peu importe le but que l’on se fixe on veut toujours aller plus loin.

 Et puis pourquoi on s’arrêterait ? Quand on est mince les garçons nous regardent d’une autre manière, on rentre dans nos vêtements, on nous félicite même.

 En plus personne ne remarque qu’on a un problème puisque être mince (maigre), c’est être belle. Nos idoles sont des mannequins rachitiques tenant à peine debout que l’on fait passer pour la perfection absolue. Alors oui, pendant un certain temps on passe inaperçue.

 L’anorexie qui était au début une prise de contrôle sur une vie qui nous échappait finit par nous contrôler. Un jour on essaye de manger comme avant, avant que tout ne devienne incontrôlable et on se retrouve à tout rendre dans les toilettes. On ment à ses parents, à ses amis et à soi-même.

 On se dit que finalement on n’a pas réellement de problème puisqu’on n’est pas mince, on a un poids normal, du gras sur le ventre, des cuisses qui se touchent, un gros postérieur. On est même carrément encore grosse. Plus on se regarde dans le miroir et plus on se trouve grosse. Plus on perd du poids et plus on se voit large.

 On essaye désespérément de faire ressortir nos os, de voir un espace entre nos jambes, de voir nos habits devenir trop grands… d’être enfin la fille mince, parfaite et élégante qu’on a toujours voulu être. Peut-être alors que, quand on aura fini de perdre ces kilos, on nous aimera, que tous nos problèmes seront résolus comme par magie. Sauf qu’on se demande si ça finira un jour.

 

Camille

Illustration par Emilie Pinsan.

Illustration par Emilie Pinsan.