Anecdotes de violences ordinaires, mes peurs du quotidien.

  « On va te violer pour te calmer, salope », c’est la phrase que m’a lancée il y deux ans un groupe de quatre ou cinq types, blancs, valides, jeunes, sûrement sortis d’un tonus de droit ou d’une école de commerce. Le genre de mecs inattaquables parce que propres sur eux, ceux que la police, les médias, les gens écoutent… plus que moi, gauchiste, féministe, meuf…

Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur qu’ils mettent leur menace à exécution, j’étais déjà terrorisée par le simple fait qu’ils le disent, dans une grande rue passante bien éclairée à une heure de retour de soirée uniquement parce qu’ils le pouvaient, parce qu’eux ils étaient forts, et que moi (pour eux) j’étais faible. J’ai eu l’impression d’être lâche, je n’ai pas osé répondre, j’aurais pu les incendier, appeler toutes mes copines trop badass et leur casser la gueule. J’ai essayé, malgré mon état d’ébriété, de passer dignement devant eux, puis j’ai couru, j’ai appelé les ami-e-s que je venais juste de quitter, illes sont arrivé-e-s mais ça ne m’a pas fait du bien. Je me suis mise à pleurer tout le long du chemin pendant qu’illes me ramenaient. Je pleurais sans vraiment savoir pourquoi, parce que moi j’avais de la chance, je n’étais pas toute seule, je me faisais ramener, j’étais entourée de personnes aimantes et fortes, mais les autres filles dehors ? J’ai refusé que mes ami-e-s montent à mon appart’, je me suis retrouvée toute seule et j’ai encore pleuré tellement j’avais honte. Je me sentais sale, inutile, fragile, tout ce que je ne veux pas être. Si je ne peux pas être forte pour moi, face à un mot, une phrase, comment je peux me dire féministe et prétendre être forte pour les autres ? J’ai eu honte parce que j’ai arrêté de porter les vêtements courts et sexy que j’aime tant et j’ai été la semaine suivante une bonne victime en tenue imposée.

Une autre fois, presque la même histoire… sauf que, là, personne pour venir à ma rescousse. J’ai couru en pleurant encore, à croire que je ne sais faire que ça, un sprint de presque un kilomètre. J’ai appelé mon amoureux avant de rentrer dans mon immeuble mais il ne pouvait pas me rejoindre, alors je me suis allongée sur mon canapé et j’ai continué à pleurer jusqu’à ce que je m’endorme. Je me suis imposé de m’habiller le plus ample possible pendant des mois, de ne jamais être le soir sans au moins un pote… moi la fille que l’on complimente sur sa vaillance et sa grande gueule, celle qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, je me suis cachée derrière des mecs.

La méthode « flanquée de bodyguards » semblant fonctionner, je reprends courage, l’envie de sortir, de beaucoup m’amuser, du coup j’ai recommencé à aller à des teufs. Je me disais naïvement qu’il y avait pas mal de nanas en général et que normalement les mecs se doivent de bien se comporter dans cet espace de liberté et d’autonomie temporaire. Lors d’une teuf, je pars me promener toute seule comme une grande. Là, un mec s’approche de moi, me susurre un truc à l’oreille et essaie de me toucher. Je le pousse, il essaie encore de me toucher les seins, je le pousse encore mais j’ai peur, je pars, j’appelle un « pote » pour qu’il vienne me chercher. J’ai peur, je suis faible, je pleure. Je lui explique, il me dit que c’est normal “tu dégages tellement de liberté, c’est insupportable pour eux, il faut qu’ils te brisent.” Je suis écœurée, dégoûtée, j’ai envie de vomir. Je me rends compte que je ne peux pas rester seule sans être considérée comme un « open bar ». Et ça, quel que soit le lieu, quelle que soit l’heure, quelle que soit ma tenue. Je suis une proie. Je me rends compte que, si je n’ai pas un propriétaire attitré, je suis un vagin en libre-service. Je me déteste de ne pas avoir de solution, je me rends compte que ce n’est pas moi mais toutes les filles qui subissent ça.

Une nuit où j’étais devant le son avec une copine, un relou a essayé d’emmerder ma pote. Je le dégage, je suis en rage, je suis incapable de me protéger mais je refuse que quiconque touche à mes copines, je deviens toujours très violente quand ça arrive. Ma pote est contente que je l’aie aidée à se débarrasser du type, me remercie et part folâtrer ailleurs. Je commence à me sentir mal. Je sors du son, le mal-être augmente, je croise un pote qui me dit que je suis pâle, que je n’ai pas l’air bien, j’ouvre la bouche mais seuls des larmes et des bafouillements en sortent. Je panique, je fais une crise d’angoisse, je perds connaissance le temps de toucher le sol. C’est la troisième fois en un an.

Je me rends compte que je suis l’une des seules filles de ma bande à ne pas avoir eu de mauvaises expériences avec un amoureux ou un amant pendant ces cinq dernières années. J’ai pourtant décidé de ne pas laisser le sexisme gagner, d’enfiler mon mini-short et d’aller m’amuser autant que possible à l’extérieur, la nuit, là où parfois j’arrive à me sentir libre et à vivre comme nulle part ailleurs, mais à chaque fois que je me coiffe devant le miroir je ne me demande pas si je vais me faire agresser, je me demande quand ça arrivera, par qui, où, de quelle manière, pourquoi. J’ai peur de dire que j’ai peur et de faire voler en éclats la confiance que mes copines ont en moi, d’être une imposture. J’ai peur de dire que je me fais agresser verbalement, physiquement presque dès que je sors. Parfois je le dis, mais petit bout par petit bout…

 

A.M.

 

faits-divers

 

Illustration par Angharad