On fait comment sans artifices ?
Il faut dire quoi, il faut répondre comment ?
Avant, les relations, c’était facile et sans prise de tête. Dans le coton de l’héro, dans les étincelles de la coke, dans les frissons des ecsta, tout était fluide et évident. Avec l’arrêt, il a fallu tout réapprendre. Et quand il faut réapprendre des choses qu’on a jamais su faire, c’est compliqué, ça paraît même impossible. Ce n’est pas forcément trop tard, mais c’est très tard.
Dans le BDSM, c’est simple, tout est codifié, on suit la recette et le protocole, on sait où aller pour trouver des personnes qui cherchent la même chose que soi. Les interactions s’enchaînent avec logique pour aboutir à un résultat évident en suivant un parcours rassurant.
Mais on fait comment à l’extérieur de tout ça ?
On fait comment quand on se sent comme un.e funambule au milieu de tou.te.s ces autres qui semblent avoir les pieds sur terre, ou tout au moins avoir assimilé les techniques qui permettent de se déplacer de paroi en paroi, de se rejoindre, arrimé.e.s les un.e.s aux autres par des cordes invisibles, alors que nous funambules, désormais privé.e.s d’équilibre, ne savons plus défier le vide et restons de l’autre côté, figé.e.s et immobiles, à contempler les cordes humaines qui se cherchent, se nouent puis se dénouent, dans une chorégraphie abstraite et obscure.
Est-ce qu’à la base, c’est encore et toujours la peur de l’abandon originel qui dirige encore nos existences, au point d’interdire toute prise de risque autre que ceux qu’on a pris mille fois pendant toutes ces années à combler le vide avec l’artifice chimique ?
Est-ce que, maintenant qu’il n’y a plus l’armure du produit qui fait se sentir ou invincible, ou insensible à toute douleur, la prise de risque est inenvisageable ?
Ou est-ce qu’être à jeun permet de ne pas oublier que, très tôt, on t’a appris que ton ressenti est aussi illégitime que toi, et que par conséquent ce que tu diras et feras sera rejeté d’un revers de main comme on repousse la mouche importune ?
Il va quand même falloir trouver le mode d’emploi, finalement tout ça n’était que reculer pour mieux sauter dans le vide.
Cendrine P.
Illustration par Aude Soret