Le viol, j’en ai pleuré, régulièrement, pendant quelques temps. J’ai eu mal aux tripes, vraiment. Quand j’y pense aujourd’hui, j’y pense comme à un truc dont j’aurais préféré qu’il ne m’arrive pas, évidemment. Un truc qui, peut-être, m’a ouvert les yeux aussi. Un truc qui a fait que jamais de ma vie je ne m’étais autant sentie appartenir à la classe des femmes. Un truc qui gardera toujours un côté « mystérieux », auquel je n’arriverai surement jamais à vraiment donner un sens, un sens qui explique cette « tétanie », un sens qui permette de comprendre pourquoi ma résistance fut vaine, qui permette de raccrocher cette sensation, celle d’une douleur qui dégoûte, à quelque chose. Alors oui, tout ça, je le comprends théoriquement, et ça m’aide surement, mais ça n’empêche pas cette part de mystère de subsister.

Mais, décidément, j’ai plus ou moins réussi à tourner la page sur tout ça maintenant ; j’y repense comme je peux repenser à plein d’expériences qui ne s’articulent pas avec le reste de ma vie. J’y repense sans émotion, un truc que j’ai « digéré ».

Ce que je n’arrive pas à digérer en revanche, c’est l’après. Les flics. La plainte. La confrontation. L’humiliation. « Désolée mais si un mec me viole, je le revois pas après, votre histoire ne tient pas ». Dans la bouche d’une femme. Flic. Et elles étaient deux.

Puis elles sortent de la pièce, un mec en civil débarque ; je suis dans une petite pièce, un mec arrive, se présente pas, et commence à me regarder. Je viens porter plainte pour viol, je viens de passer vingt minutes à raconter mon viol, et tout d’un coup elles partent, et un mec que je ne connais pas et qui ne se présente pas arrive dans la pièce, et me jauge. Je me sens SUPER à l’aise. Absolument aucun flashback dans cette situation super confortable. Quelques échanges, questions, sur comment je l’ai connu, jusqu’au « ah non mais je juge pas » qui clôt la conversation. Ouais ouais.

Les meufs reviennent : « Je crois qu’il y a quelque chose qu’elle ne vous a pas dit. Allez, dis-leur comment tu l’as rencontré ». Dans dix minutes je serais probablement sortie… Je suis sortie d’ailleurs. Certes, je m’y attendais… J’aurais pu écrire directement au procureur, mais j’avais besoin d’agir physiquement, comme pour compenser le moment où je n’avais pas pu. Besoin de marcher en direction du commissariat, besoin de (tenter de) m’affirmer, physiquement. Qu’à cela ne tienne, j’aurai essayé, passons au plan B…

Première audition. Étonnamment bien passée. Malgré le fait que tu racontes ton histoire, à côté d’une porte ouverte où les passages sont incessants et où tu te fais interrompre par le collègue qui propose du café au flic qui t’auditionne. Et quelques trucs du genre, mais dans l’ensemble, ça va. Puis nouveau coup de téléphone : « Le procureur voudrait une nouvelle audition, car, au vu de votre activité, on aurait besoin de vérifier si d’une manière ou d’une autre il ne pourrait pas être considéré comme votre proxénète. Ça pourrait expliquer votre motivation à vouloir lui nuire ». Okay, on y retourne, non, je ne lui ai jamais donné de fric, et de toutes manières c’est pas en tant que pute que je porte plainte. C’était pas mon client ni mon mac c’était mon mec. Au revoir.

Et puis le jour de la confrontation. Il est en train d’être auditionné ; quand il aura fini ce sera à « nous ». Besoin d’aller vomir. Obligée de me faire accompagner. Par un flic. Étonné : « Dites-donc, ça a l’air de vraiment vous travailler ». Non, tu crois ? Voilà, c’est à « nous ». La chaise, à quelques centimètres de la sienne. Passer derrière lui pour s’asseoir à côté. Ne pas le regarder. Ne pas le regarder. Ne pas le regarder. M’asseoir. Utiliser ma veste comme un rideau. Refuser qu’il me voie. Jusqu’à ce que je craque et lui adresse directement une question. « Vous n’êtes pas obligé de lui répondre directement ». Et là il OSE : « Je ne sais pas [mon prénom], est-ce que tu CONSENS à ce que je te réponde ? ». Bref, le reste c’était Hollywood, je me souviens même pas de tout, si ce n’est que je savais en sortant de là que c’était foutu pour moi. Et ça sera confirmé par cette gentille lettre du procureur, deux mois plus tard, qui m’assurait de sa « meilleure considération ».

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, en ce qui me concerne, c’est pas quand un viol est évoqué que j’ai besoin d’un trigger warning. Aujourd’hui, quand je mate un film ou une série, c’est quand je vois une victime face à des flics ou à des juges, que j’ai, à chaque fois, le cœur qui bat et envie de chialer.

 

MM.

 

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< SILENCE! > !pyon! 2013