J’suis agacée… Non, en fait j’suis carrément furax !

Ça fait déjà un certain temps que ça traîne et que je sens mes nerfs lâcher…

15 piges de militantisme au bas mot, 15 piges à lutter contre un système que je conchie, contre des méthodes qui me filent la gerbe, avec des gens différents, n’ayant pas tous le même vécu, le même vocabulaire, les mêmes oppressions mais qui partagent les mêmes buts et qui pourtant arrivent à se parler et se comprendre entre eux… Si c’est pas beau ça ?

Sauf que là, on rase tout et on recommence : de « nouvelles » règles arrivent !

À l’heure actuelle, je passe 15 plombes à relire mes écrits avant de publier quelque chose ou à réfléchir avant de parler parce que, pour des questions de sémantiques, j’ai la « trouille » – c’est volontairement exagéré, disons seulement que j’en ai plein le cul d’être reprise systématiquement – qu’on me tombe sur la TRUFFE (hum… « truffe » j’peux pas, c’est spéciste) disons donc la courge (c’est végétaliste ? Pardon les courges !).

Pourquoi ? Parce qu’il est de bon ton d’être ultravigilant sur les mots qu’on emploie.

Aujourd’hui dans les milieux militants, il y a une police du langage.

Et ce n’est pas une petite brigade sympa (ceci est un oxymore !) qui te dit : « attention, c’est mieux si tu marches dans les clous, pour ta sécurité et celle des autres, tout ça »… et qui trace sa route en sifflotant en ayant semé une nouvelle idée qui, peut-être, germera…

NON, NON NON ! Il s’agit d’une milice ! une vraie !

Une milice du langage qui sanctionne à chaque débordement de manière partiale, abrupte, abusive et pas du tout pédagogique…

Normalement le TONE POLICING (pardon les non-anglophones) est censé s’appliquer non pas aux opprimés entre eux mais aux oppresseurs. Histoire de faire bouger un peu les mentalités, on tape sur le plus fort.

Sauf qu’aujourd’hui, c’est tout le monde qui est concerné et ATTENTION ! – dis-moi tes oppressions et je pourrai te classifier !

Parce que oui, pour prendre un exemple tout trouvé, dans ma situation de femme pauvre, célibataire, mère solo, bi (pour pas dire pan, ça complique encore plus les choses), libertine, « grosse », qui voit un psy depuis quelques années entre autres pour des violences que je n’ai pas choisi de subir, ex-sdf, tox’ et prostituée,… (j’en passe, j’vais finir par vous faire chialer) j’crois que je cumule pas encore assez pour être, aux yeux des MASTERS ès militantismes, légitime à parler comme bon me semble puisqu’on me rappelle systématiquement que je suis quand même CIS-BLANCHE et donc que je perds des points car cela me place automatiquement du côté de l’oppresseur…

Mais WTF ?

Oui oui… c’est comme s’il existait dorénavant un barème de l’oppression. DES NIVEAUX ! Carrément… Allons-y gaiement !

Alors bon, soyons clairs : Ça a toujours existé et les ego trips, c’est juste la mort de l’association d’idées… et j’ai le sentiment que ça prend une ampleur complètement hallucinante et dérangeante. Ces guerres d’ego démesurés filent tout droit vers l’autoritarisme primaire et les luttes de pouvoir.

Donc d’un côté, on dénonce l’oppression, de l’autre on tape sur ceux qui ne le font pas correctement. Vous saisissez le ridicule ?

C’est un peu comme une seconde adolescence en fait… avec sa crise d’acné et ses sautes d’humeur… ça finit par passer… un jour…

Mais en attendant, le langage est donc considéré comme potentiellement oppressant pour celles et ceux qui finalement sont encore en pleine déconstruction individuelle et qui font donc inévitablement chier le reste du peloton avec leurs questions de sémantique.

Donc tout le monde n’est pas légitime à parler comme il veut. Voilà.

Mais qui décide de ça ? Qui joue le jeu de qui au final ?

Après on vient te tenir des théories sur la liberté, l’équité,… Heeuuuu… J’me vexe là ?

… Donc en fait ça mène où tout ça ?

Ben… Nulle part !

Vouloir contrôler et reprendre systématiquement le langage ne fait que nous faire tourner un peu plus en rond entre nous, entre luttes pourtant amies et alliées… Et pendant ce temps, les vrais oppresseurs, eux, savent parfaitement s’entendre pour être toujours plus oppressants.

Z’auraient tellement tort de s’en priver en même temps…

Entendons-nous bien :

– Utiliser du vocabulaire, à bon escient et pour poser des bases, entre nous, dans nos luttes, c’est bien…

– S’assurer que toutes et tous sont au fait de ce vocabulaire et apporter ces outils à celles et ceux qui n’en ont pas (au lieu de gueuler au shamingphobe permanent), c’est mieux…

– et laisser chacun s’exprimer sans le reprendre à chaque mot, tenter de choper l’essence de ce qui est évacué, en comprendre le fond et le sens sans pour autant vouloir donner des cours de sémantique, c’est merveilleux !

Sérieux, quand il s’agit juste de faire chier sur la forme alors qu’au final nous sommes toutes et tous d’accord sur le fond, à part le côté contre-productif, nerf en pelote, diviser pour mieux régner parce que MOI JE détiens la « grande parole du causer-mieux », non sérieux, j’ai beau chercher, j’comprends pas à quoi ça sert.

À vouloir tout calibrer et policer, on en perd une notion fondamentale : celle du partage, du dialogue, de la communication et de l’écoute.

Celle de l’entraide… que nous clamons tou.te.s pourtant si fort !

On en perd nos facultés à s’entendre, à se coordonner au-delà des mots… dans l’ACTION ! (Attention, c’est un gros mot… ça pourrait choquer !)

Pas plus tard que ce matin, parce que j’ai osé faire une série de jeux de mots pourris (exercice de CE2) autour d’un « sa va » mal orthographié, je me suis vue taxer d’orthographe-shaming. Le « sa va » mal orthographié émanant de l’oppresseur dans la discussion, j’en conclus que même dans une situation où on se sent soi-même très mal à l’aise face à l’attitude de quelqu’un, il ne faut pas utiliser de vocabulaire ou tournure potentiellement problématique ?

L’idée actuelle c’est donc d’avoir la PUTAIN de sainte vierge du vocabulaire parfait dans la bouche ?…

Dites les gens… faudrait voir à sortir un dico des mots à ne pas utiliser hein ? ! Parce que ça devient carrément lourd et chiant de passer plus de temps à penser comment dire un truc au lieu de le dire tout court ! L’un n’empêchant pas l’autre, on peut en débattre… mais les coups de bâton n’ont jamais servi à faire rentrer quoi que ce soit dans aucune caboche.

On navigue en eaux troubles, une épée de Damoclès au-dessus de la tête et un cerbère au cul…

Pourtant,

– Mes chats ne semblent pas m’en vouloir quand je m’approprie les termes « gueule, truffe, pattes »…

– Mes potes homos ne m’en veulent pas quand un « p’tit pd » m’échappe.

– Mes potes putes ne m’en veulent pas de mes PUTAIN à chaque fin de phrases…

– Mon pote amputé d’un bras ne m’en veut pas quand je lui dis « allez prends ton courage à deux mains »…

– Mon pote schizophrène ne m’en veut pas quand j’lui balance « t’es un grand malade toi ! »…

– Mes potes plus foncés que moi ne comprennent pas pourquoi dire aujourd’hui qu’ils sont noirs n’est pas correct.

– Mon « con » ne se sent pas offusqué que je traite tous les salauds de la Terre entière de son p’tit nom.

– Mon pote roux se bidonne quand j’lui sors des jeux de mots sur sa rousseur…

– Mes potes trans ne m’égorgent pas à chaque fois que j’dis une connerie…

– … Je continue ?

En fait avec tous ces gens-là, on en rit très fort, on discute, on décode, on s’entraide,…

Parce qu’entre nous il existe un espace de dialogue et d’écoute qui permet de garantir la sécurité de toutes et tous. Alors quand j’me trouve avec des gens que je ne connais pas, évidemment je vais être plus vigilante à ce que je dis et comment je le dis… mais pas au point de m’autocensurer parce que je pars du principe qu’on est tous assez grands et intelligents pour dire GENTIMENT quand un mot, un terme ne convient pas et pour quelle raison… ça s’appelle communiquer… Même ma môme de 8 piges a compris ça… C’en est « hilarant » ! (j’ris un peu jaune là quand même…)

Ou alors je propose un nouveau jeu : on fait tous des phrases à trous que chacun.e.s pourra compléter à sa guise et qui n’aura donc jamais le sens qu’on aurait voulu y mettre au départ… mais bon les « bons mots » seront là hein !

J’ai quand même remarqué que, comble de l’ironie, ce sont majoritairement des femmes cis-blanche qui passent leur temps à reprendre le vocabulaire du voisin/de la voisine. Elles en savent plus sur les oppressions de chacun pour se sentir légitimes de juger et reprendre ainsi de manière complètement arbitraire que le témoignant lui-même… Celles-là même qui t’expliquent que toi, qui pourtant cumules des situations pourries que tu souhaiterais même pas à ton pire ennemi, tu restes privilégié.e, comme elles, mais qu’elles, elles font tout parfaitement bien…

Rectificatif : elles n’ont de parfait que le langage…

Parce qu’au travers de leur « lutte » (ça m’arrache la gueule là) pour un langage meilleur et « safe », leur comportement ne fait que reproduire l’oppression qu’elles dénoncent… Les armes qu’elles utilisent pour lutter contre les violences sexistes sont exactement les mêmes que celles de ceux qu’elles disent combattre.

Ça pue la bourgeoisie et la supériorité.

Parce qu’ils ont toutes et tous un langage parfait !-ement oppressant, OUI !

Nota : On peut s’exprimer de manière « parfaitement parfaite » et être pourtant la pire des raclures de chiottes. Que ce soit bien pris pour dit !

Vous voulez des exemples ? Cherchez dans les hautes sphères…

Alors…

On parle aussi des termes anglophones qui compartimentent celles et ceux qui ne comprennent pas l’anglais mais qu’il faut pourtant parfaitement connaître et maîtriser pour être un.e militant.e de classe supp’ ?

On parle de l’agressivité systématique face à un mot jugé problématique (souvent de la part d’un non-concerné d’ailleurs) ?

On parle des injures ? des injonctions contradictoires ? des propos dévalorisants ? des dénigrements ? de la dévaluation des actions ou pensées de l’autre ? des jugements négatifs à l’encontre d’une personne juste pour une question de forme ?

On parle de la violence au sens brut ?

Une question me taraude…

Vous là… Oui, VOUS qui pensez être l’élite éclairée du militantisme conscient et déconstruit, vous qui ne jurez que par les mots que vous employez… Vous vous sentez vraiment sécurisants/militants/convaincants (pas de mention inutile) en agissant ainsi ?

Vous vous sentez vraiment meilleurs que votre voisin en faisant pire ?

« Diviser pour mieux régner » on vous dit… Qui donc sera le grand gagnant ?

MAIS PUTAIN ! C’est possible d’être aussi crétin ? (Heuuu… je peux « crétin » ? )

NB1 : Y’a beaucoup de « parfait/parfaitement » dans ce texte… c’est normal, c’est adressé aux gens parfaits ! Vous avez réussi a suffisamment me casser les couilles que je n’ai pas.

NB2 : et si au lieu d’appuyer systématiquement sur l’oppression on se contentait d’être juste… humain.e.s et fier.e.s de ce que nous sommes ?

Il y a une chose que j’ai apprise de mes années de militantisme, c’est que pour toucher les gens, il faut montrer le champ des possibles et arrêter de vouloir systématiquement persuader de ce qui est bien ou non… Comme pour tout, les mots n’ont que peu de valeur… Seules les actions comptent… Pointer du doigt et taper à coup de crosse ne génère que frustrations et mécontentements. Mettre en pratique, à son niveau et sans reproche ni jugement, est beaucoup plus percutant… et instructif pour nous tous !

Sur ce, j’vous emmerde bien licornement.

… Nadège, pour celles et ceux qui voudraient me jeter des cailloux.

Dessin au feutre fin noir sur feuille blanche : une sirène les bras en l’air semble avoir un fil au bout des mains qui descend le long de son buste et est hameçonné au début de sa queue, au niveau du ventre. Il divise en deux son visage complètement halluciné autour duquel s’étendent de petits cercles concentriques comme de ricochets. Des yeux s’échappent en ligne de chaque côté de ses bras.

Illustration par N.O.