J’avais entendu parler de ces histoires d’abus d’autorité, ou de position, dans le milieu de la santé. La blouse du docteur, son stéthoscope, son pouvoir de faire diminuer la douleur ou non, etc., seraient un ensemble d’éléments déterminants dans les rapports entre docteur.e.s et patient.e.s. Un rapport dominant.e.s-dominé.e.s. Cela s’applique également au milieu de la gynécologie. Je trouvais ça un peu facile. Non, moi, jamais je ne ferais de différence entre un.e docteur.e et un.e facteur/factrice. D’ailleurs, je tiens à toujours l’appeler « Monsieur » ou « Madame » et non « Docteur.e truc ». Alors imaginez, un.e médecin qui abuse de sa position ! Avec moi, ça ne passerait pas, même sans culotte et les jambes en l’air. Ça, c’était avant.

C’était il y a deux ans. J’avais besoin de changer mon implant contraceptif. J’avais trouvé un super gynéco pour mon suivi. Vous savez, celui qui a conscience que l’examen est plus délicat qu’un autre, celui qui vous fait remettre le bas avant de vous faire enlever le haut pour une palpation mammaire, celui qui fait exprès de vous poser une question juste au moment où il place le spéculum, etc. Mais, comme tous ses confrères « de ville », il ne pratiquait pas le retrait ou la mise en place de l’implant. J’ai donc pris rendez-vous à l’hôpital.

« Monsieur truc » ne m’a même pas saluée. Il m’a demandé pourquoi c’était. Il m’a demandé de m’asseoir et d’enlever le haut. Moment d’angoisse : on ne m’avait jamais demandé d’enlever mon débardeur pour me poser un implant, et là, je n’avais pas de soutien-gorge – je n’en porte jamais. Je me suis dit : « Si tu lui dis, il va se moquer de toi : il en voit tous les jours des nibards ! Un de plus, un de moins… Donc, ne lui dis rien ». J’ai enlevé mon t-shirt. Il m’a regardée avec un air de dégoût, m’a jeté un drap dessus en me disant « C’est pas un strip-tease ici ! ». Je ne sais pas si à l’écrit, on se rend bien compte de la violence de la situation. En gros, c’est comme s’il me disait que j’étais une salope qui voulait l’aguicher. Moi, avec mon caractère, j’aurais dû le remettre à sa place. Je n’ai pas pu. Je n’ai rien dit. J’ai déplié le drap et j’ai caché mes seins.

J’ai mis deux ans à réussir à revoir un gynécologue. Trois ans que je n’avais pas fait de frottis et j’avais décidé de retirer mon implant. J’angoissais à l’idée de prendre rendez-vous. J’ai appelé en demandant de ne pas avoir « Monsieur truc ». Rien que cela m’a demandé un effort terrible. Je tombe sur « Monsieur machin ». Il est de mauvaise humeur. Il est remplaçant et ne trouve aucun matériel dont il a besoin. Il m’examine le bras et se rend compte que l’implant est mal placé : « C’est qui le cochon qui vous a posé ce truc ? Moi je dis, celui qui pose retire ! Chacun sa merde après ! » Au cours du retrait, il le répète plusieurs fois. Je finis par lui dire que c’était mon choix, de ne pas revoir « Monsieur Truc », qu’il m’avait mise mal à l’aise. « Monsieur Machin » devient tout à coup très gentil et très prévenant. À la fin de l’extraction, il m’invite à entrer dans son bureau. Il me demande à demi-mot ce qu’il s’était passé. Je lui explique comme je vous le raconte aujourd’hui. Il me dit que cette attitude n’est pas normale. Que je ne dois pas culpabiliser. Que certain.e.s médecins abusent de leur position. Que c’est « culturel. » Je me rassure de voir qu’un gynécologue me défend. Jusqu’à ce qu’il conclut : « Moi, à sa place, j’aurais été content : j’adore les femmes, alors une paire de seins de plus à mater, je dis pas non ! »

Je suis une femme plutôt forte émotionnellement. Là, une petite agression m’a retournée et angoissée. Comment le vivrait une adolescente ? Une personne plus fragile ? Une personne âgée ? Je crois qu’il est important de parler de nos expériences à ce sujet. De les répéter. Pour que le gynécologue qui abuse de sa position soit vu comme la honte de sa profession. Et pour que les femmes se sentent moins seules et arrêtent de culpabiliser. Serrons-nous les coudes !

Mélodie

Illu - GYNECOLOGIE ET ABUS DE POUVOIR BD

Illustration par Shyvs
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Illustration par Fanny Baudequin