Le harcèlement a commencé très tôt, et aujourd’hui il y a des trous dans ma mémoire, des évènements occultés pour réussir à grandir.
La maternelle, un groupe de filles qui me tiraient les cheveux et se moquaient de moi parce que je ne me comportais pas comme tout le monde ; j’imagine que c’était relatif à mes comportements autistiques, les neuroatypies gestuelles et mes incompréhensions face à ce que l’on attendait de moi, mes difficultés d’apprentissage d’utilisation de trucs genre ciseaux, pinceaux, etc.
Les personnes qui surveillaient se contentaient de légères remontrances sans jamais de réelle prise en compte du problème, ce qui fait que lorsque je suis arrivéae au primaire de la même école, je n’avais déjà plus aucune confiance dans l’équipe pédagogique.
Et ça a continué.
Je me souviens que je me faisais taper et cracher dessus, on me cachait mes affaires, on jetait mes pulls sur le toit de la cantine. C’était toujours les mêmes gosses qui m’agressaient physiquement et psychologiquement, et je me souviens comment les personnes chargées de la surveillance considéraient ça comme du jeu. DU JEU. Ça allait déjà mal chez moi avec un beau père abusif psy et violent physiquement.
Du coup je flippais d’aller à l’école et je flippais de rentrer chez moi. Le seul endroit où j’étais bien c’était à la piscine, et ça n’a pas duré, petite ville et reproduction des comportements abusifs dans l’équipe sportive. Comme si je portais le harcèlement sur le visage.
On se moquait de moi aussi parce que j’avais des fringues de seconde main, que je n’étais pas féminine, je ne voulais pas l’être, j’ai appris violemment qu’il fallait être un garçon ou une fille, que tu n’avais pas le choix et qu’il n’y avait aucune porte de sortie.
J’ai commencé à m’automutiler à neuf ans pour faire passer la douleur mentale dans le physique.
Après est venu le collège, et forcément des gens sont venus de mon école et ça a continué. J’étais la meuf bizarre, je mangeais seulae et je passais mon temps libre en bibliothèque, je relevais jamais la tête et je tâchais de me faire oublier. Je me prenais des coups, mon sac était déplacé, on se foutait de moi dans les couloirs, on m’apostrophait en rigolant. Le seul endroit où j’étais à peu près au calme c’était la bibliothèque, et le temps que j’y passais n’aidait pas à mon intégration à la population lambda du collège.
J’ai tout fait pour rentrer dans le moule, j’ai nié mon identité durant des années, mon langage corporel disait tout ce qui se passait, j’avais la tête rentrée dans les épaules, je ne savais pas me tenir droitae, la phobie sociale s’est ajoutée à l’autisme et je ne parlais quasiment plus à haute voix. Ma mère était prise dans les galères dûes à la précarité et à sa relation avec le connard, du coup elle ne voyait rien, et personne n’a vu, personne n’a pris la parole ou ne m’a tendu la main. Les professeurs ne réagissaient pas. Je passais les printemps/étés avec des manches longues pour qu’on ne voit pas mes cicatrices parce que je me punissais moi-même, j’avais finis par penser que si je subissais tout ça c’est que j’étais coupable de quelque chose. Il y devait y avoir une raison, c’est comme ça que j’ai commencé à intégrer ce que disait mes harceleurs comme étant des vérités à mon égard. J’avais tout le temps peur de me faire agresser.
Puis y’a eu la période rumeur sexuelle et je suis devenu la salope du collège. J’avais fais l’erreur de faire confiance à une personne en racontant mon viol. J’ai fait une TS à douze ans, une autre à quinze, je ne comprenais pas pourquoi on ne voulait pas me foutre la paix et me laisser vivre, alors autant mourir. Ça a continué comme ça tout le temps du collège, j’ai décroché des cours, à douze ans je suis tombéae en dépression et c’est seulement aujourd’hui que je commence juste à m’en sortir. Je suis tombéae dans la drogue pour me trouver un endroit où j’étais acceptéae.
J’ai passé des années à pleurer le soir, à ne pas réussir à dormir, j’ai construit une image de moi sale et humiliée, la confiance en moi n’est toujours pas gagnée. Je suis toujours dans la méfiance dans mes relations inter-personnelles et je n’arrive pas à croire qu’on puisse s’intéresser à moi de façon désintéressée. Je ne comprends toujours pas comment tu peux envisager de détruire un môme comme ça. Le deal dans la tête de mes agresseurs. J’ai passé toute ma scolarité à faire des crises de panique quand je devais prendre la parole devant un groupe, j’ai mis un temps énorme à apprendre à regarder une personne dans les yeux quand j’ai des requêtes, encore plus à formuler mes requêtes et j’en suis encore à déconstruire l’image de moi que me renvoyait mes agresseurs. J’esquive les situations où je dois participer à un travail de groupe. Les cicatrices physiques ont à peu près disparu mais celles qu’on ne voit pas sont toujours ouvertes.
Aujourd’hui je ne peux pas sortir sans ma musique pour m’isoler du monde, j’ai toujours le flip quand j’entends une ou des personnes rire quand je ne suis pas loin qu’elles se foutent de moi, qu’elles viennent m’agresser et que je ne sache pas me défendre, je ne sais pas faire confiance aux gens et j’ai toujours peur qu’on finisse par utiliser mes confidences contre moi. Quand je suis arrivéae au lycée ça s’est plus ou moins arrêté mais la construction était déjà faite et j’ai tout fait pour m’intégrer et j’ai incorporé des comportements dangereux pour être vu comme cool.
Maintenant la fucking question c’est : OÙ ÉTAIENT LES ADULTES ? Vous ne me ferez jamais croire qu’une môme qui se cache, qui ne parle pas et qui tressaille à chaque fois que vous l’interpellez ça ne vous met pas la puce à l’oreille. Vous étiez juste trop lâches pour prendre vos responsabilités.
Quand est-ce qu’on va se pencher sur la nécessité de créer des classes qui fonctionnent humainement plutôt que de faire des classes par niveaux ? Y’a des traumas à vie, des troubles de stress post trauma identique à ceux des soldats qui reviennent de la guerre, des gamins qui se mutilent, qui se foutent en l’air… il est grand temps de mettre en place des choses concrètes pour venir en aide aux gamins et pour prévenir les comportements abusifs.
Il est grand temps qu’on commence à nous écouter.
E.C.
Illustration par Soudrille
Miaou,
C’est une excellente idée la formation humaine de classes!
Cela dit, tant qu’inaction des équipes éducatives il y aura, le problème restera entier. Il y a quelques jours, un téléfilm sur le harcèlement est sorti, et j’ai vu plein de commentaires qui disaient qu’il fallait montrer ce film dans les collèges… Oui, sans doute, oui. Mais à l’équipe éducative, en priorité! Il y a des solutions, bien sur, mais les ateliers anti-harcèlement actuels qu’apprennent-ils? Du flou. Pourquoi? Parce qu’ils sont réfléchis et animés par des personnes qui n’ont pas ou peu souffert du problème: évidemment, pour travailler dans l’éducation nationale, il ne faut pas avoir de phobie due au trauma de l’école. Donc l’E.N. compte 0% de personnes victimes de harcèlement scolaire aux conséquences graves. — Je ne dis pas qu’il n’y a pas des gens dans l’E.N. qui ont vécu du harcèlement, simplement il était suffisamment bien géré ou peu grave pour ne pas laisser de graves séquelles à l’âge adulte.
La plupart des personnes qui n’ont pas vécu cela ne comprennent pas, d’ailleurs. Parce que c’est du passé.
Un peu comme une seconde négation du drame…
Pour ma part, je n’ai jamais cru les autres. C’était des mots, et je me sentais belle et intelligente, malgré leur connerie. Je pense qu’il y a quelque chose d’innée là dedans, car, avec le recul, je ne m’explique pas cette force de caractère au regard de ce que j’ai vécu.
Ce qui m’a fait du tord, c’est de croire les adultes qui disaient que ce n’était pas grave.
J’ai grandit et je me suis construit en étant fière d’être au dessus de toutes les injures quotidiennes que je me prenais au travers de la face. Mais j’ai aussi grandit en étant persuadée que des actes de barbarie comme pousser une gamine de 11 ans sous les roues du car ou mettre le feu à la chevelure d’une camarade de classe étaient des broutilles. Encore aujourd’hui, j’en parle avec un détachement tellement surréaliste qu’il est rare qu’un interlocuteur me prenne au sérieux.
Mais il ne faut pas perdre espoir.
La reconstruction est possible.
Nous avons lieu d’être fiers d’avoir survécu.
<3