Ce soir je me suis outée.
Je suis sortie du placard de la non-binarité.
À y repenser je ne sais plus. Je ne sais plus qui je suis.
Je ne sais plus si je suis une femme, si je suis neutre, si je suis autre chose. Et autre chose, quoi ? Je ne sais plus ce qui me définit en tant que personne genrée, je ne sais plus ce qui fait de moi la femme que je me ressens être profondément, ni ce qui fait que parfois je me sens au-dessus de ça. Au-dessus du genre. Au-dessus du fait d’être une femme. Parfois je me sens universelle. Mais qu’est-ce que c’est d’être universelle dans une langue qui n’a pas de neutre ? Qu’est-ce que c’est d’être universelle et femme à la fois ? Qu’est-ce que c’est, être universelle dans un monde qui n’accepte que la spécialisation à outrance et refuse le flou, l’indéfini, la recherche perpétuelle de soi ? Qui suis-je au fond ? Qu’est-ce qui me définit en tant qu’être ? Qu’est-ce qui me fait ? Je ne sais plus, je n’ai pas de repères et ça fait tellement longtemps que je m’interroge, que je cherche des explications à ce qui me fait, me constitue, me fonde. Je ne trouve plus mes repères. C’est comme si tout mon monde basculait. Est-ce que c’est à cause de mon hyperempathie ? Est-ce que je suis tellement empathique que mon identité se floute dans celles des autres ? Est-ce que je suis vraiment non-binaire ? Est-ce que je suis vraiment pansexuelle* polyamoureuse* ? Je ne sais plus, je ne sais pas qui je suis et j’en viens à me demander si je ne l’ai jamais su. Je m’accroche à mon nom, ce nom que je me suis choisi toute seule comme à un roc dans la tempête, comme un phare vers lequel aller, un cap à tenir. Mais un cap sans destination, finalement Je ne sais pas sur quelle terre je veux accoster. Est-ce que c’est mal de ne pas savoir qui on est ? Est-ce que c’est mal d’être à ce point perdue face à soi-même que le moindre reflet semble étinceler de quelqu’un d’autre que celle que je m’attends à voir ? Je passe de longues minutes souvent à chercher dans le miroir les traces de moi, les marques de mon histoire. Je me regarde et j’essaie de deviner ce que les autres voient ; peut-être qu’ils pourraient m’aider à comprendre, les autres. Mais ils ne peuvent pas comprendre. Qui le pourrait qui n’est pas empathique profond ? Qui pourrait saisir toute la chute que je ressens quand je suis assaillie de toute part de cent histoires et que tout de moi se tord en ressentant la douleur et la souffrance et la joie et la peine et le bonheur et le rire des autres ?
Je suis totalement perdue.
Je ne sais pas qui je suis.
J’aime me genrer au féminin. J’aime mon corps féminin. Pourquoi est-ce que je me sens si profondément femme et si profondément autre chose ? Est-ce que c’est par rejet de la norme ? Est-ce que je me mens à moi-même ? Qui suis-je ? Qu’est-ce qui me définit ? Pourquoi suis-je toujours attirée par les marges ? Qu’est-ce qui me pousse à rejeter toutes les conventions ? Pourquoi, pourquoi ce besoin d’être plus que femme alors que femme résonne en moi ? Souvent j’ai le sentiment que ma vie n’est qu’une suite d’impostures terribles et je voudrais y mettre fin. Mais mettre fin à mes propres ressentis c’est aussi une imposture. J’ai le sentiment d’errer dans un cercle vicieux et de ne pas réussir à m’en sortir, de ne jamais voir le panneau « exit » m’indiquer avec une lumière verte la sortie de secours de ma propre vie.
Réfléchir à mon genre me pousse au bord du gouffre. Et je n’arrive pas à échapper à cette réflexion. Je ne sais plus quoi faire. J’ai peur de mentir. J’ai peur de revenir sur ce que j’ai dit, ce que j’ai écrit parce que le monde impose des choix définitifs et que mon seul choix à l’allure de non-retour c’est d’avoir choisi de vivre. Pourtant je ne sais pas comment vivre dans ce monde. Je ne sais pas comment m’y adapter et je suis terrifiée à l’idée de ne jamais réussir. Je suis terrifiée à l’idée de ne jamais trouver la voie de secours vers le cercle vertueux.
Je ne sais pas qui je suis et ça fait profondément mal, parce que la société n’accepte pas le flou, n’accepte pas l’ambivalence et le changement de genre non contrôlé et la coexistence de mes deux vérités et la peur tétanique de me mentir toujours à moi-même.
Un jour j’aimerais trouver les clefs pour me comprendre. Et enfin réussir à saisir toute ma complexité de femme et d’autre choses, sans mot, sans être frappée d’angoisse à l’idée de me tromper, encore.
Magnifique texte. Et si nous n’étions tout simplement pas définissables ?
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Ton texte est d’une grande, d’une profonde justesse. Je m’y retrouve entièrement, au point d’imaginer -pardon pour cet égoïsme- qu’il a été écrit pour moi. Il n’y a que les poètes pour donner cette impression.
Rencontrer d’autres personnes non-binaires aide beaucoup. Je te le souhaite. Nous sommes quelques-un’s ici, si tu veux : http://intersectionnalite.forumactif.org/
Merci, c’est beau et très fort !