J’ai 12 ans et je suis anorexique. Enfin il paraît. Je sais ce que c’est l’anorexie, c’est quand t’es trop maigre. Enfin je crois. Pourtant je mange, beaucoup même, et j’adore manger. Mais je suis trop maigre. Et on me le répète bien assez souvent, quand mes copines parlent de régime, moi je ne dois pas l’ouvrir parce que « toi t’es anorexique donc tu ne sais pas ce que c’est ». J’ai aussi bien souvent entendu « de toute façon les maigres c’est moche, y a que les chiens qui aiment les os ».

 Je ne me suis jamais fait vomir, je n’ai jamais voulu être maigre. Je déteste mon corps, je voudrais être grosse, je voudrais avoir des seins, des hanches, des fesses. Je voudrais ressembler à une femme et pas à un garçon. Je voudrais que mon corps soit normal, et ça veut dire quoi normal déjà ? Mes copines disent toutes qu’elles sont grosses. Mes copines disent toutes que je suis maigre. Sont-elles vraiment des copines, d’ailleurs ? Maigre, maigre, anorexique, grossis un peu, tu peux bien manger des frites ça te fera pas de mal, reprends donc un peu de gâteau t’es toute maigre

 J’ai eu mes règles très tard, à 14 ans et demi. À ce moment-là, j’ai fait une poussée de croissance et j’ai rattrapé tout le monde, avant j’étais la plus petite. Ça n’a pas changé ma vie, les gens continuaient à croire que je mentais sur mon âge, que je me vieillissais. « Arrête, je peux pas croire que t’as 14 ans, t’as sauté une classe ? » À ce moment-là, ça allait un peu mieux car j’avais d’autres amies, des plus maigres, des plus grosses, des qui s’en fichent, des avec qui je rigolais et qui jamais ne parlaient de poids. Ça fait du bien.

 Au lycée, c’est une autre facette de mon corps que l’on a raillée. Petits seins, planche à pain, femme à lunettes, femme à quéquette. « Je sortirais bien avec toi si t’avais pas les cheveux frisés. » Alors j’ai caché ce corps toujours pas assez féminin, j’ai attaché mes cheveux, j’ai mis des sweats larges, du noir, du noir, du noir, et des clous pour me protéger. Je disais fuck you. Je disais je vous emmerde. Je disais j’en ai rien à foutre de votre avis. Je disais des gros mots et je pleurais dans les toilettes.

 Et puis il y a eu la fac. Et puis il y a eu l’amour. Et puis il y a eu de nouveaux regards sur mon corps. Et puis, enfin, j’ai pris des formes. J’ai enfin eu l’impression que mon corps m’appartenait, que j’étais une femme. Je ne m’étais jamais vue comme féminine avant cela, je ne m’étais jamais considérée comme désirable. J’ai voulu dire à mon corps que je l’aimais, alors je l’ai tatoué pour que tout le monde le sache. Oui, je l’ai détesté, oui il m’a fait souffrir, oui on l’a raillé, moqué, montré du doigt mais il a déployé ses ailes.

 Mon corps ne sera jamais parfait, aucun corps n’est parfait. Mais aujourd’hui je peux enfin l’apprécier et le bichonner, ne plus le cacher.

Nymphe

 « Je t’envoie mon illu qui va avec, elle est importante parce que c’est la première fois que j’ai trouvé mon corps beau. »

 

Illu - IL PARAIT QUE JE SUIS ANOREXIQUE

Illustration par Julie Ah.
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