J’ai été violée.
Voilà, c’est dit; déjà ça te pose le tableau.
Je ne peux pas t’en dire grand chose. C’était un soir, je matais un film avec LUI dans son lit en mezzanine. Sin City. Ca, je m’en rappelle parfaitement. Ce dont je me rappelle moins, c’est comment, à quel moment, ça a commencé, basculé.
Je sais juste que j’ai dit non, plusieurs fois. Au moins dix. Mais, même une, ça aurait du suffire. LUI, ça l’excitait, le non. Je l’avais déjà pressenti. Parce que, ouais, c’était mon mec. Depuis quelques mois. Deux ou trois, je sais plus.
Nan, je te vois venir, je te parlais de viol, alors t’imaginais déjà une tournante dans une cave glauque d’une banlieue décriée. Pour ta gouverne, un viol c’est un viol, même si ça a lieu dans un deux pièces BCBG d’Oberkampf décoré Ikea avec des orchidées dans le salon et une salle de bain luisante. C’est pas un « moins viol », c’est pas un « rapport conjugal un peu forcé », c’est pas non plus un truc de féministe vénère à postériori, c’est juste UN VIOL.
Quand ça s’est passé, j’ai rien dit. A personne. Je suis rentrée chez moi le lendemain, j’ai été en cours, j’ai mangé, et je suis retournée chez lui le soir venu, pour me faire larguer comme une merde en sus.
Là, en bref, ça donne, une TS ratée, un passage par l’hosto, une mère paniquée, et un mois sans aller en cours par peur de le croiser. Pour touTEs, j’ai tenté de mettre fin à mes jours pour cause de premier chagrin d’amour. Personne n’a jamais su. Personne ne sait, en fait. De toutes les personnes qui m’entouraient à l’époque, la thèse officielle, et largement confirmée par moi, c’est une connerie post-adolescente de tristesse profonde post-rupture. Il est même venu à l’hosto. S’excuser. Ah nan, pas de m’avoir violée, ça il s’en rappelait déjà plus. Juste de m’avoir quittée.
Ce mec, je l’ai revu. J’ai rebaisé avec, des mois durant, quand sa nouvelle conquête était une musulmane qui attendait le mariage pour s’offrir. Quand il m’appelait raide à 5h du mat en me disant qu’il avait envie de ma chatte. Quand il me harcelait pour que je le suce, jusqu’à en avoir la gerbe. Ca a duré encore 4 mois, comme ça.
T’appelles ça comme tu veux, de l’amour, de la connerie, le syndrome de Stockholm. Moi j’ai pas mis de mots dessus, et pour tout te dire je m’en branle. Ca a eu lieu, c’est tout. J’en suis pas plus ni moins victime, pas plus ni moins responsable.
La première personne à qui j’en ai parlé, un an plus tard, c’était ma copine de l’époque. Sa seule réaction, après m’avoir caliné une minute trente montre en mains, a été de me dire que j’exagérais, qu’elle me connaissait et surtout qu’elle me connaissait suffisamment sexuellement parlant pour savoir que, quand quelque chose ne me convenait pas, je savais dire NON et mettre un stop à la situation.
La deuxième, ça a été quatre ans après, celle que je pensais être ma meilleure pote. Pour qui, malheureusement, je n’étais qu’une mère, un pilier, invincible, sans faiblesse, et qui a tout renié en bloc une semaine plus tard, allant jusqu’à me dire que, nan, c’était pas vraiment un viol, puisque pas une tournante, puisqu’ayant eu lieu dans une relation « instaurée » avec une personne, puisque j’étais féministe, puisque je radicalisais tout, puisque, puisque, puisque.
Je pourrai aussi te parler de ma mère, avec qui j’a(va)is un lien fort, malgré ses psychoses et son angoisse-de-tout-permanente. Ma mère qui transpose sur moi ses peurs, et qui ose régulièrement m’appeler pour me raconter ses cauchemars qui me mettent en scène, tantôt trucidée à coups de couteaux, tantôt disparue brutalement de la circulation, mais toujours abusée sexuellement. A qui je prends chaque fois la peine de répondre, à qui j’accorde chaque fois la demi-heure nécessaire à la rassurer, en ravalant mes larmes, mon passé, mon vécu, mon traumatisme pour satisfaire son bien être, avant qu’elle raccroche brutalement après m’avoir sorti cette fameuse phrase qui vient ponctuer chacun de ses coups de fils anxieugènes. (anxieux-anxiogènes) : « je dois filer, merci ma puce, je suis contente de savoir que tu vas bien ».
Mais j’ai décidé que tout ça devait changer de camp. Non, je ne suis pas coupable. Ouais, j’en parle. Aux personnes qui me touchent, qui me sont proches, à celles avec qui je baise, à celles avec qui je dors, à celle que j’aime un peu, parfois beaucoup, à celles qui m’écoutent, à celles qui me parlent, à celles que je rencontre et aux amiEs de cinq ans.
Alors, oui, sur un CV, ça fait beaucoup, gouine fem victime de violences et survivante de viol. Mais c’est ce que je suis. Et la prochaine personne qui refuse de voir, entendre, écouter, tu peux être sure que je la laisse sur un bout d’trottoir et que je trace ma route sans me retourner. Je suis ça. Tout ça. Un peu plus, même. Et je vis. Et je t’emmerde.
Queen C.
Illustration par AH
Bonne conclusion, même si ça ne doit pas être simple tous les jours surtout quand des personnes sur qui ont pensait pouvoir compter nous tournent le dos. Je te souhaite d’être heureuse !
Merci pour votre texte. Et votre courage.