Je vieillis, je le vois chaque jour, les rides bien creusées, les cernes devenues permanentes, la peau qui se ramasse sur les genoux et le ventre. Puis il y a toutes ces soirées fatigantes où je m’évertue à aller pour boire, prendre quelques traces et dire des âneries à qui voudra bien m’écouter.
Longtemps j’ai fait cela pour exploser le temps, le défaire, l’annuler à travers des sensations décuplées par les substances et les rencontres, renouveler l’espoir d’une vie sans ennui ou douleur.
En vain.
Aujourd’hui, à 33 ans, je trafique encore avec le temps, mais maintenant j’essaie de le retenir, de limiter sa fuite vers la lente destruction de mon corps et de sa mémoire. Mon corps, cher petit corps, petit chariot qui me mène droit vers la mort.
« Qu’as-tu fait de tes talents ? » c’est bien cette question qui tape dans mon crâne sans arrêt, au rythme des échecs cumulés.
À mon âge, certaines femmes sont mariées avec une descendance bien assurée. Tout est programmé jusqu’à leur mort. Je ne veux pas de cette mauvaise vie mais où est le salut dans ma parure d’éternelle adolescente ?
Qu’est-ce qu’une femme âgée aujourd’hui ? Ce n’est rien. Elle ne séduit plus donc on ne la voit plus. Elle peut disparaître sans laisser de trace. Pourtant, maman me l’a toujours dit « les femmes vieillissent mal ma chérie ». C’est ainsi qu’elle m’a élevée, sois belle et subis ! À son grand désespoir, je n’ai jamais été belle. Souvent elle me glissait « j’ai honte de toi ».
Nous sommes nombreuses, je le sais, à avoir honte de nous-mêmes parce que jamais assez belles, jamais assez séduisantes et trop vieilles à présent. Nos mères, elles-mêmes brisées, ne nous ont pas appris à être solidaires les unes des autres. Au contraire, pour ma part ça a toujours été jalousie, mesquineries, et autres couteaux dans le dos. Mais, au final, que pourrais-je bien reprocher à ma mère ainsi qu’à mes grands-mères, ces femmes maltraitées, dressées pour séduire, obéir et toujours plus souffrir ?
Parfois j’aperçois la gêne et le mépris chez certaines jeunes personnes à qui je dis mon âge. Ma vie est un échec à leurs yeux. « Tu n’as personne en ce moment ? Tu n’envisages pas de gagner plus un jour ? Non parce que si tu veux acheter il te faudra plus d’argent, ne serait-ce que pour élever tes enfants ».
Comment leur dire que je ne compte pas me reproduire, ni devenir propriétaire de quoi que ce soit ? Non, je n’investirai pas dans une maison-tombeau et ne compterai pas sur mes petits-enfants pour porter mon cercueil.
Aussi difficile soit ce choix de vie, je compte bien vivre librement, regarder mon corps se rider, tomber malade, devenir répugnant de vieillesse et mourir. Je ne ferai pas de la honte un sacerdoce.
J’entends bien profiter de ce petit corps aussi vieux et vilain soit-il et tant pis pour les réflexions de haute volée de maman et ses semblables, je cours, je suis déjà loin, et je ne les entends plus.
Maïlys F.
Aucune lignée n’est actée, rien n’est destiné, tout peut évoluer, changer, disparaître, naître, renaître, s’ouvrir, s’envoler..
Rien n’est figé.
Tout peut se jouer.
Accepter le temps, accepter les échecs sont des travaux personnels de grandes envergures, des travaux de petits jours, de petites nuits, de longues heures et de sourires. D’accroches.
Ne rien lâcher.
Avancer vers soi.
Prendre soin de son corps, prendre soin de son âme.
Se rapprocher encore de soi.
Revenir aux basiques.
Pour s’envoler encore ensuite.
Rien n’est figé.
Ni le vieillissement, ni la maternité, ni les nuits futiles.
Tant de chemins encore à réveiller.
Prendre le temps de s’asseoir au bord de celui-ci, de le constater, de ravaler les amertumes pour mieux se rechausser. Et continuer sa route..