Le viol est un crime. Lorsque la victime est mineure, le délai de prescription est de vingt ans à compter de la majorité. La victime peut donc porter plainte jusqu’à ses 38 ans. De plus l’auteur du viol risque jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle s’il y a des circonstances aggravantes ; par exemple s’il est commis sur mineur-e de moins de 15 ans.
J’ai donc potentiellement le pouvoir d’envoyer un homme en prison. Mais je n’ai jamais porté plainte.
Je n’obtiendrai jamais justice. Je ne sais plus qui est l’homme qui m’a violée ni même quand cela s’est passé. Je me souviens juste que c’était un mercredi après-midi. Je pourrais sans doute déposer plainte contre X. Pour être une statistique de plus, classée sans suite. Je ne sais pas si je le ferai un jour, si le bénéfice retiré en portant plainte vaudra que je revive encore une fois, en détails, toute cette après-midi là.
Je n’ai jamais porté plainte. Mais j’en ai parlé à un adulte, seize ans après. Cet adulte, c’est ma mère.
J’ai enfin trouvé le courage, du haut de mes 29 ans pour que la petite fille de 13 ans puisse se délivrer de ce poids. Pour enfin faire ce que j’aurai dû faire il y a longtemps.
Ça a commencé au mois de juin quand par hasard j’ai découvert ce blog. J’ai lu et relu les textes. Pour me rendre compte que je n’étais pas seule. Et pour décider que je pouvais moi aussi partager ici ce moment de ma vie. Quelques jours plus tard, j’ai rencontré une personne qui m’a dit pour la première fois que ce que j’avais vécu était un viol. Sur le coup ça a été une vraie claque. Le genre qui te coupe le souffle et te fait monter les larmes aux yeux. Les mois qui ont suivi ont fait remonter à la surface des émotions pas toujours sympathiques, mais ces deux moments ont été le début d’une délivrance. Vos mots m’ont permis d’avancer, d’arrêter de me taire.
Il m’a fallu tout ce temps pour me dire que j’avais été victime, que ce n’était pas de ma faute. Plus important encore, pour me dire que ce que j’avais vécu était un viol. Lorsque l’on est forcé, c’est un viol.
Après avoir réalisé cela, j’ai mis des mois avant de parler. Parce que je ne savais pas si je devais ou non en parler à mes parents, à ma mère. Si je devais lui faire partager ce poids. Je sais la souffrance que ça a été pour moi. Est-ce que j’étais en droit de la faire souffrir de la même manière ? A quoi cela pourrait me servir ?
Et puis c’est sorti, le jour de noël. Sans doute pas le meilleur cadeau à lui faire. Je lui ai raconté, pas dans les détails. Ça n’était pas forcément nécessaire.
Et pendant que mon cœur s’allégeait, au fur et à mesure que mes paroles s’écoulaient ; je voyais, je sentais celui de ma mère se déchirer.
Quand on donne la vie, on ne pense généralement pas au pire. Et le pire qu’on imagine est souvent loin de la réalité. On pense aux belles choses qui pourront arriver à l’enfant à naître, à l’amour qu’on lui donnera. Personne n’est préparé au pire. Personne n’est préparé à accueillir le pire.
Ma mère se souvenait de cette après-midi. Elle savait qu’il s’était passé des choses pas normales. Mais je n’avais rien dit. Et elle n’avait pas su quoi faire. Elle était à mille lieues de se douter de ce qu’il s’était réellement passé.
Mais elle s’en souvenait.
Le cœur de la petite fille que j’étais, celui de la femme que je suis, s’en sont trouvés apaisés. Elle avait vu quelque chose. Je n’avais pas été seule.
On ne peut pas changer notre passé, jamais. Mais on peut toujours changer la perception qu’on en a.
Parler, même après tout ce temps, a réparé un peu mon âme.
La petite fille qui avait peur, qui se sentait si sale et si seule ne l’est plus désormais. Elle dort au fond de moi. Elle a fait la paix avec les autres. Elle fait la paix avec elle-même. Elle est prête à me laisser avancer.
Je pense que parler à ma mère a été un acte infiniment réparateur.
J’ai avancé pendant toutes ces années en trainant ce poids. Parce qu’il était aussi une partie de moi qui me rendait singulière. Je peux aujourd’hui le laisser partir.
Je ne suis plus une victime. Je ne serai plus une victime.
Je dépose ce poids et le laisse derrière moi.
Mon avenir, c’est maintenant.
Ambre
Illustration par Emilie