Toi, tu ne l’es pas, essentielle. T’as beau être militante depuis des années, avoir des faits d’armes dont tu peux être fière derrière toi et des tas de projets devant toi, des bagages théoriques et un point de vue idéologique incisif, tu vaudras toujours moins qu’un mec.

Ok, il est bourré à deux heures de l’après midi en allant differ, ok, il est incapable de se pencher sur une formation, ok, il défend Faurisson dans une manif pro-palestinienne.

C’est peut être un violeur, mais c’est un camarade, tellement essentiel à la lutte contre le capitalisme, source de la violence principale faite aux femmes.

Et toi, tu ne fais pas le poids face à lui.

La politique, le combat, ça reste une affaire d’hommes et les groupes militants sont construits autour d’une sociabilité masculine. Les femmes, on les y tolère. Mais il faut savoir rester à sa place. Faire les sandwichs, prendre soin des garçons, gérer la trésorerie, ok. Avoir des prétentions théoriques, rivaliser en terme de courage physique avec des hommes, il ne faut pas exagérer. Ça appelle à la répression.

Les “petites copines de” sont aisément remplaçables et interchangeables et si tu penses être autre chose que “juste une meuf” tu te fourres le doigt dans l’oeil.

T’es juste une meuf, dont les camarades hommes âgés sont incapables de se rappeler du prénom.

T’es juste une meuf, alors toutes tes propositions politiques sont subjectives, sentimentales, petites bourgeoises.

T’es juste une meuf, alors si tu crois qu’au bout de deux ans de camaraderie, un camarade va pas t’offrir à un de ses potes que tu connais pas, tu te trompes. T’es juste un trou.
T’es juste une meuf, alors quand un mec te largue et ne veut plus te voir, tu prends tes affaires et tu dégages.

T’es juste une meuf, tu te fais taper parce que tu as été violée, tes agresseurs peuvent revenir trois jours après dans un rassemblement.
T’es juste une meuf et depuis toute petite on t’apprend que tu dois accepter de prendre des coups et ne surtout pas te défendre.

Tu le sens bien, au fond de toi, que ta place est précaire.
Tu le sens bien que s’ il faut faire un choix, ce ne sera pas toi.

Même les meufs préféreront faire une croix sur toi plutôt que de risquer à leur tour leur place super précaire dans le milieu. Même une large part des milieux féministes préféreront évacuer la question que tu poses plutôt que de risquer d’avoir à assumer des contradictions avec des orgas mixtes.

Si tu crois que toi c’est pas pareil.

Que toi il ne t’arrivera rien. Parce que toi tes camarades ils sont anti-sexistes.
Que même s’ il t’arrive quelque chose, hé bien le mec il va se faire péter la gueule parce  que toi t’es une militante trop forte et trop indispensable.

Hé bien, meuf, bonne chance.

Je ne l’espère pas, que tu te fasses jeter comme une merde.

Mais à chaque fois que tu n’es pas solidaire d’une meuf qui se fait virer pour toutes ces raisons, c’est ta place que tu fragilises. Ce qui t’attend au bout de ta stratégie individualiste, c’est d’être cernée d’hommes plus dangereux les uns que les autres.

Leur pouvoir est fragile, ils tiennent à le conserver. Tu subis, et ils soufflent les chandelles de ton âme les unes après les autres. C’est un cadavre qu’ils veulent, pas une militante.

Si tu te révoltes, ils ont un extincteur. S’ils ne se sentaient pas en danger eux aussi, ils ne prendraient pas la peine de t’écraser, de répéter mille fois les mêmes exclusions argumentées de la même façon.

Quand seront-ils cernés à leur tour ? Quand est ce que leurs jérémiades d’agresseurs seront elles traitées avec le mépris qu’elles méritent ?

Quand allumerons nous un grand incendie ?

Vive la solidarité, vive le feu.

 

Sepvants

Dessin au feutre sur feuille blanche : une femme nue aux longs cheveux noirs se tient debout devant une grande tenture verte à motifs triangulaires colorés. Dans son dos, comme des ailes, un grand feu rougeoie de ses mollets à ses cheveux. Entre ses mains, un feu bleu.

Illustration par N.O.