Je ne sais même plus à quoi ressemble mon corps. Il a été si longtemps habité et porté par les troubles alimentaires que j’ai effacé de ma mémoire ce à quoi il ressemble à la base.
Je n’ai aucune idée de ce dont il a l’air sans les TCA. Sans ma boulimie, sans mon anorexie, je ne sais pas ce qui est vrai ou ce qui est faux dans mon corps. Ma faim, mes formes… Mon cerveau ne sait plus me reconnaître derrière la couche de ça. Il ne sait plus m’identifier non plus.
J’ai mis du temps, j’ai vaincu ces troubles mais mon esprit et mon corps se sont perdus en chemin. Je ne sais plus quoi faire de mes journées sans mes crises, je ne sais plus comment me réconforter ou me punir sans ces crises. J’ai du mal à comprendre ce que je ressens. Ça me fait peur parce que je vis avec depuis si longtemps, je ne me rappelle plus comment était ma vie avant.
Je pensais qu’une fois le problème éradiqué, ça serait juste comme avant. Que j’allais être soulagée et que j’allais retrouver une vie normale, je me suis battue comme une damnée pendant deux ans pour ça. Seule, en plus, face à l’incompréhension de ma famille, de mes amis, des médecins à qui je ne savais pas expliquer comme je détestais la nourriture et qui était pourtant mon seul réconfort. Que je ne pouvais pas maigrir si je ne réglais pas mes TCA, que ça prenait du temps, que j’avais trop souvent brûlé les étapes et que j’avais aggravé les choses et qu’il me fallait du temps. Que le résultat n’était pas le plus important, c’était le travail effectué qui l’était.
Je me réveille le matin quand je ne travaille pas et je me demande pendant deux heures ce que je vais faire de ma journée sans mes crises. Et je ne me lève pas de mon lit avant d’avoir trouvé, parce que j’ai trop peur de finir par manger. Je me demande ce que je vais bien pouvoir faire pour passer une bonne journée sans manger comme avant. Je me demande ce que je vais devoir trouver comme doudou pour me lover dans mes pensées et y passer des heures douillettes.
Je ne sais pas comment c’est arrivé. Comment ça a pu prendre autant de place dans ma vie au point de ne pas savoir exister sans. Quand je me concentre, je suis fière de moi, fière d’avoir réussi à identifier le problème, de l’avoir réglé toute seule. Mais je me sens vide. Il me manque quelque chose. Les premières fois, j’ai acheté les aliments de mes crises et je les ai mangés. Mais je n’allais pas mieux, ça ne marche plus. C’est peut-être maintenant que je comprends l’importance d’être accompagné.e quand on se soigne, pour l’après. J’ai l’impression d’être radicalement différente et que personne ne le voit. Je m’inspecte tous les jours pour déceler la différence, je note mentalement chaque crise que je ne fais pas à des moments où j’en aurais fait, comme si c’était anormal et qu’il manquait une partie de moi. Je justifie auprès de qui est là de ce que je mange ou pas. Comme si je devais prouver que j’avais réussi. Mais dans ma tête à moi, il me manque un truc et je ne comprends pas ce que c’est.
Et je comprends pas pourquoi ça me manque alors que ça m’a pourri la vie pendant presque dix ans.
Mais j’ai réussi. J’y suis arrivée.
R.

Dessin numérique sur fond orange : Princesse Mononoké, du film éponyme de Myazaki, regarde son masque. Le masque et la princesse sont en violet.
Illustration par Alraun
https://www.facebook.com/alraunillustrations
Oh. Je comprends.
ha lala ce sentiment de vide comme je le connais comme il est bon et terrible a la fois de le remplir de nourriture. peut etre un vide de je ” je t aime comme tu es”