Une amie et moi, on rentre d’une soirée un peu arrosée dans un bar parisien. Il est bientôt l’heure du dernier RER et les tapis roulants de la station de Châtelet-les-Halles sont bondés. Au milieu de la station, entre deux tapis roulants, deux mecs nous abordent. Leurs intentions ne sont pas dures à comprendre : deux jeunes femmes éméchées, ce sont des proies faciles.
« Bonsoir, vous vous appelez comment ?
– Magali. »
J’ai menti. Je ne m’appelle pas Magali. Magali, c’est mon bouclier dérisoire contre les harceleurs de rue, mon semblant de revanche. J’utilise le même à chaque fois, pour ne pas hésiter, ne pas bafouiller. Ca me donne un sentiment de victoire. Ma manière de dire : je ne peux pas vous empêcher de m’aborder, de prendre mon temps, de vous faire des idées, de me détailler des pieds à la tête, de m’insulter… mais mon identité, vous ne l’aurez pas. Comme si garder mon nom pouvait me protéger.
Ils se fichent de savoir comment je m’appelle ou qui je suis. Le temps de la discussion est déjà fini. À quoi bon, puisque mon amie et moi, nous avons bu ? Nous n’allons pas résister.
Ils nous séparent, chacune dans un coin, chacune avec son harceleur. Et lui a déjà passé un bras autour de mon épaule. Le cou tendu, il essaie de m’embrasser.
Autour de nous, les gens passent. Mon amie refuse de donner son numéro à son harceleur, qui insiste. Moi, les bras tendus, je repousse le mien, qui persiste à vouloir m’imposer un baiser dont je ne veux pas.
Et autour de nous, les gens passent.
Par dizaines, par centaines, ils passent devant nous. Est-ce qu’ils ne nous voient pas ? Est-ce qu’ils ne remarquent pas que je me débats pour me débarrasser d’un homme qui me retient malgré moi dans ses bras ? En tout cas, ils passent. Et pas un ne s’arrête. Pas un ne prend la peine de nous demander si ça va.
À force de persévérance, je finis par obtenir de mon harceleur qu’il me lâche, qu’il s’écarte. Mon amie et moi, pour obtenir la paix, on leur donne des numéros de téléphone. Des faux, bien sûr. Comme pour le prénom, mais c’est cette fois une protection plus efficace. Enfin libres, on reprend notre route sur les tapis roulants de Châtelet-les-Halles et on se fond dans la foule. Dans cette même foule qui, à l’instant, passait devant deux jeunes femmes aux prises avec deux harceleurs sans leur accorder la moindre attention.
Magali
Illustration Emilie Pinsan