J’ai 11 ans.
Une petite fille au corps frêle, sans forme, aux cheveux longs jamais coiffés. Une gamine un peu garçon manqué, qui préfère grimper aux arbres plutôt que de parler maquillage et garçons. Je suis en 5e, quelques semaines après la rentrée des classes. Un petit collège de campagne, les élèves se connaissent presque tous.
Un jour, ma mère décide de me faire porter une jupe. Une petite jupe plissée grise. Avec des collants noirs à petits motifs en forme de croisillons. Et un simple T-shirt à manches longues. Le tout porté avec des mocassins noirs. Pour elle, j’ai l’air d’une petite écolière modèle. Mais pas pour mes camarades.
J’entre dans le collège et commence à chercher mes rares amis, je les aperçois, assis sur un banc dans le couloir. J’avance vers eux. Et une voix m’interpelle.
“C’est combien ?”
Je ne comprends pas tout de suite. Je m’approche du grand 3e qui m’a lancé ça.
Il répète “C’est combien ?”
Ses potes se marrent. Il a un sourire pervers qui me dégoûte. Je comprends soudainement ce qu’il sous-entend. C’est combien la passe. Il me traite de prostituée. Moi, une gamine de 11 ans, qui ai le malheur de porter une jupe plissée qui m’arrive au milieu des cuisses. Je rougis, je ne sais pas quoi dire. Je lui tourne le dos et m’en vais. J’ai honte, je comprends de manière diffuse que je viens de me faire salement insulter. Mais ce n’est que la première insulte d’une journée interminable. Tous les garçons de ma classe reprennent la blague.
“On dirait vraiment une pute !” “Tu prends combien ?” “C’est quoi cette jupe ?”
Même les filles s’y mettent. “C’est vrai que ta jupe fait un peu pouf quand même…”
Ils ont entre 11 et 13 ans mais ils ont déjà intégré toute une réflexion sexiste. Ils savent déjà ce qu’est une prostituée, ils savent déjà que c’est censé être honteux, ils savent déjà qu’ils ont le droit de traiter de putes les filles avec des jupes trop courtes.
Le soir je rentre chez moi sans dire un mot. Je ne parle presque pas. Je ne fondrai en larmes que le lendemain matin alors que mes parents m’emmènent au collège pour une nouvelle journée de cours. Des larmes de peur, des larmes de honte. Ils auront réussi à me faire porter des pantalons jusqu’à la fin de l’année.
Aujourd’hui, 10 ans plus tard, j’ai appris à me foutre royalement de l’avis des autres concernant mes tenues, de ne pas tenir compte des remarques sexistes. Aujourd’hui je continue à porter des mini-shorts en soirée malgré les dizaines de “salope” que je me suis reçues. Aujourd’hui je suis plus libre.
Mais je repense à cette petite fille que j’étais, terrorisée et perdue, qui ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait. Et je ressens de la colère, de la rage. C’est, je crois, la première agression sexiste dont je me souviens. Mes agresseurs ne s’en souviennent probablement pas. Mais moi je n’oublierai jamais ma première expérience du slut-shaming. Honte sur eux.
R.
Illustration par Myroie
Ces jeunes étaient visiblement putophobe.