Témoigner sur la maternité et la sexualité, l’idée est séduisante tant il y a à dire. Tellement, d’ailleurs, qu’un texte ne suffirait pas. Je vais quand même essayer d’aborder quelques points qui me semblent importants.
Tout d’abord, on ne naît pas mère : on le devient. Qu’on ne me parle pas d’instinct maternel, ce n’est pas aussi simple. Si certaines d’entre nous ont su instantanément quels gestes adopter face à leur nourrisson, d’autres se sont trouvées désemparées et le sont encore. J’ai la chance de faire partie de celles qui ont bien vécu leur grossesse, pour qui ce fut une expérience heureuse et épanouissante. J’ai eu également des accouchements qui se sont bien déroulés (même si avec le recul, j’aurais beaucoup à dire sur le corps médical, mais là n’est pas notre propos !). Je fais partie des chanceuses, mais nous sommes une minorité à pouvoir conter un passage à la maternité dans de bonnes conditions.
Être mère n’est pas « naturel », c’est complexe et violent. Oui, j’utilise le mot violent à bon escient. Quand j’écoute des femmes raconter leur maternité, je n’ai jamais autant envie de hurler contre la société. On leur reproche toujours de ne pas être à la hauteur, de ne pas répondre aux attentes : pas assez courageuses par rapport à la durée et au poids de la grossesse, pas assez fortes contre la douleur de l’accouchement, pas assez responsables quant à ce qui les attend après, pas assez ceci, trop cela. La femme n’est jamais assez exemplaire et parfaite aux yeux du monde, la barre est placée non plus haute mais hors d’atteinte et culpabilise les mères. Non seulement elle n’est pas assez bonne mère mais elle perd également son statut de femme si durement acquis. (Oui, on ne naît pas « femme » non plus, on le devient à la sueur du combat contre le patriarcat !)
Combien de personnes autour de vous avez-vous entendu parler de la perte de la libido d’une femme après un enfant ? Combien de fois a-t-on entendu dire qu’elle ne prenait plus soin de son mari (?) et qu’elle ne s’intéressait plus qu’à son bébé ? Combien d’hommes se sont plaints de l’éloignement de leur femme après leur accouchement ? Et combien d’hommes ont vécu un accouchement pour pouvoir en parler ? Je demande parce que je pense que la société ne se rend pas compte du poids qu’elle fait peser sur les épaules des mères : elles doivent devenir du jour au lendemain des mères parfaites tout en restant des amantes passionnées.
Devenir mère, c’est une expérience incommensurable dans une vie de femme. Ce sont des changements tant physiques qu’hormonaux, mais aussi de statut social, de vision de soi ou de rapport à l’autre. Devenir mère, c’est changer de vie quelque part. En tout cas, c’est voir la sienne transformée à jamais.
Pourquoi l’homme ne vit-il pas ce changement autant que la femme ?
Parce qu’on n’attend pas de lui qu’il soit parfait dans ce rôle paternel, on ne lui demande pas d’allaiter 24h/24, de se lever toutes les nuits (il travaille, lui !), de couver son petit, de gérer ses pleurs et ses cris incompréhensibles, de savoir comment s’y prendre en cas de problème, etc. Vous allez dire que j’exagère, que les pères s’impliquent dans les naissances, qu’on n’est plus dans les années 40. Détrompez-vous, le problème n’a pas changé d’un iota, on attend toujours des femmes qu’elles soient des mères irréprochables quand on est bien plus laxiste avec la position du père. Regardez ces vidéos où l’on s’émerveille devant ce papa formidable qui donne le bain à son tout-petit, ou celle de ce père génial qui incruste son fils dans des scènes de films catastrophe…
La société est toujours en émerveillement devant les papas géniaux alors que jamais vous ne verrez de telles considérations pour des mamans, puisque de toute façon, tout ce que font les mamans est normal et banalisé. C’est ainsi, c’est notre société patriarcale, ce que nous, féministes, combattons chaque jour de notre vie. Et pourtant, je vois encore et toujours des femmes venir me parler de leur expérience de la maternité et des problèmes de couple qu’elles ont rencontrés.
Certes, si leur compagnon a été présent pour la naissance, s’il a pris part depuis l’arrivée du bébé en terme de biberons, couches et réveils nocturnes, il n’en reste pas moins que ce n’est pas lui qui a été meurtri dans sa chair, qui a subi les assauts de ses hormones, qui a subi l’effort physique le plus inconcevable qu’un corps puisse accepter. Parlons-en, de ce corps ! Croyez-vous qu’une femme se trouve belle et séduisante après son accouchement ? Pensez-vous qu’elle puisse accepter ce ventre flasque du jour au lendemain comme étant un artefact de sa maternité ? Pensez-vous que l’on puisse se trouver sexy quand on a des kilos en trop, les seins qui gouttent ou que l’on a toujours mal au niveau du périnée ? Oui, il faut du temps au corps pour se remettre d’un accouchement, il en faut autant pour se remettre psychologiquement de l’épreuve qu’il a traversé. Neuf mois pour faire, neuf mois pour défaire ce que la nature nous a offert… un vieil adage de grand-mère, mais pas loin de la vérité.
Combien d’hommes ont la patience d’attendre que leur femme se retrouve pour la retrouver à leur tour ? Combien d’hommes exercent une pression pour que leur femme accepte les rapports sexuels alors qu’elle n’est pas encore remise de son aventure intérieure ? Combien de femmes ont cédé à leur mari contre leur envie ? Combien de couples se sont brisés suite à l’arrivée d’un enfant, parce qu’un homme avait des « besoins » que sa femme n’a pas comblés ? Je n’ai que trop entendu de récits en ce sens pour laisser passer cette question.
La sexualité après la maternité n’est pas une simple affaire de corps qui doit se remettre du traumatisme de l’accouchement. Il est au-delà de la question purement physique. Plus qu’un problème physiologique, le sexe est avant tout un état d’esprit. Il faut que la femme retrouve son envie, son désir pour que le sexe dans le couple soit consenti et non subi. On nous propose une rééducation périnéale après l’accouchement, mais quand nous proposera-t-on une consultation psychothérapeutique ? Que la mécanique fonctionne de nouveau ne concorde pas systématiquement avec le désir retrouvé. Il ne faut jamais minimiser l’impact de la fatigue et du changement de rythme de vie qu’impose la venue d’un enfant. Mais, outre cela, jamais on ne nous parle de l’image de soi, de l’image que la femme a désormais d’elle. Accepter son nouveau statut de mère, mais aussi son nouveau physique, ce corps qui a vu tant de changements en un temps si court.
Je trouve que la société n’aide pas les femmes à appréhender leur corps de mère : bien au contraire, on leur somme de retrouver le plus rapidement possible leur corps de jeune fille. On cache les vergetures, on camoufle les bourrelets, on impose des régimes, on va jusqu’à se faire opérer pour éliminer toutes traces de maternité, des fois que ces stigmates dégoûteraient leur bien-aimé. Comment les femmes peuvent-elles se sentir bien dans leur peau quand elles voient dans les magazines des jeunes mamans sveltes et rayonnantes un mois après leur accouchement quand elles ont encore dix kilos de grossesse sur les hanches, les cheveux gras, le teint terne et des cernes plus noires que le cœur de Maléfique ? Une fois encore, le poids de notre bonne vieille société patriarcale s’impose. Il faut être parfaite pour l’homme qui partage notre couche, redevenir l’amante à tout prix, que nous soyons de nouveau désirable d’après les codes et diktats de cette vision misogyne et réductrice.
Combien de femmes se retrouvent coincées dans leur corps qui ne correspond pas à ces attentes ? Combien d’entre elles sont malheureuses et voient leurs problèmes minimisés à coup de baby blues et de « c’est la faute des hormones » ?
Non, c’est la faute des hommes et du patriarcat. Le manque de connaissance des traumatismes vécus par les femmes, leur minimisation et leur passage sous silence. Si la sexualité des femmes après la maternité se trouve secondaire, celle de l’homme, en revanche, est mise en exergue. On plaint cet homme dont la femme ne satisfait pas ses besoins, on l’accuse d’être une mauvaise compagne, de délaisser son conjoint maintenant qu’elle a obtenu ce statut de mère, comme si c’était la seule chose qu’elle ait jamais voulue. Depuis son enfance, la femme s’entend dire qu’elle doit d’abord être une bonne épouse, celle qui comble les attentes sexuelles de son mari (et remplit sa marmite), puis endosser le rôle de la mère immaculée, dévouée à sa progéniture, irréprochable icône maternelle. La maman et la putain, mais pas en même temps, ça fait désordre. Autant d’injonctions à être des femmes parfaites qui doivent combler sexuellement leur partenaire sous prétexte d’être délaissées si elles n’y arrivent pas… Quel poids plus lourd que celui-ci ?
Si je dois témoigner de mon vécu quant à mon rapport à la maternité et à la sexualité, je dirais que malgré le fait que je vive avec un homme parfaitement compréhensif et impliqué dans notre parentalité, j’ai parfois, comme un grand nombre de femmes, cédé au poids des injonctions. Alors que je n’en avais pas envie, que j’étais fatiguée, que je me trouvais moche, pas sexy, grasse, immonde, j’ai accepté des rapports sexuels parce que c’est ce que l’on attend de moi, c’est ce que la société m’a appris : je dois être disponible pour ma famille ET mon conjoint.
J’ai eu une sexualité épanouissante avant mes enfants, sans aucun problème spécifique. Mais elle a changé après leur arrivée. Pas tout de suite, je ne m’en suis pas rendu compte parce que je voulais parfaitement coller à cette image de femme parfaite, capable de gérer sa maternité tout en gardant une sexualité soutenue. Sauf qu’avec le recul, je sais aujourd’hui, à travers le prisme du féminisme, que je ne faisais que répondre aux besoins des uns et à la vision des autres, mais qu’en aucun cas je ne le faisais pour moi. Aujourd’hui, je suis en adéquation avec ma maternité et ma sexualité, je prends du temps pour l’une ou pour l’autre, mais je sais que je ne peux pas parfaitement mener les deux de front au quotidien. J’aménage du temps pour mon couple autant que je le peux et mon conjoint a appris à accepter mes refus sans m’en faire culpabiliser. J’accepte de ne pas avoir de désir parfois parce que je suis trop fatiguée. J’accepte aussi de dire à mes enfants que je ne suis pas à leur disposition, qu’il me faut du temps pour moi ou du temps avec leur père.
Il n’y a pas de recette miracle pour accorder maternité et sexualité, il faut composer avec chaque jour, mais il y a un élément clé pour que cela se passe au mieux : s’écouter. Avant de lire et écouter les conseils des autres, la première personne à interroger c’est soi-même, se questionner sur ce dont on a besoin, ce qui nous fait du bien et en discuter avec son partenaire.
Nous ne sommes pas des Wonder Woman, nous ne sommes pas que des mamans ou que des putains, nous sommes des femmes et c’est un combat de chaque instant.
Blogueuse sex & body positive

Dessin: Dominantes de couleurs rouge et noir. Dans une chambre, une femme nue est allongée sur le coté, elle nous fait face, endormie. Elle semble épuisée, un peu recroquevillée. Derrière elle, le clair de lune (que l’on aperçoit par la fenêtre) Détache deux silhouettes, un homme, adulte, une petite fille. Ils observent le femme en silence. On ne voit rien de leur visage, cela donne un coté oppressant à la scène.
Illustration par Monsieur Q.