La première fois, j’avais 19 ans. Ma gynécologue avait changé ma pilule cet été-là en me disant que je ne risquais quasiment rien pendant le mois de transition (faux). Quand mes règles ne sont pas arrivées, j’ai fait un test. Il était négatif alors je suis partie en vacances. Mais mes règles ne venaient toujours pas alors j’ai été obligée d’aller demander en portugais à la pharmacie un test de grossesse. Cette fois, il était positif. Mon cerveau s’est complètement déconnecté. J’ai demandé à mon mec qu’on aille au bar tous les deux parce que je ne voulais pas que ses deux ados m’entendent. On est allés manger une pizza, j’étais dans le brouillard complet. Il a juste dit qu’on allait s’en occuper. Heureusement qu’il était bilingue et qu’il avait des sous, on est allé faire des prises de sang et puis une échographie dans une clinique privée. Leur matos était nul, on ne voyait rien, je ne comprenais pas ce que le médecin disait. Ça faisait une semaine entre le test et les examens, j’étais enceinte de beaucoup, genre deux mois, c’est tout ce que j’ai compris, parce que mon mec me traduisait juste ce qui lui semblait utile et puis, de toutes façons, j’avais l’impression de ne pas être là. Je crois que le médecin m’a parlé de rendez-vous obligatoire chez le psy. J’ai dit non et on a fini les vacances comme ça, avec mes seins énormes et une boule dans la gorge. Mon mec m’a interdit d’en parler à qui que ce soit mais j’ai dû le faire quand même en secret, parce que je voulais savoir les délais français pour l’avortement et que je n’avais pas internet. On est rentrés en France et j’ai dû sortir de mon brouillard douillet pour appeler des médecins et prendre des rendez-vous. À l’hôpital, j’ai attendu quarante minutes devant l’entrée que mon mec arrive comme promis, mais il n’est jamais arrivé, donc je suis allée toute seule à ce rendez-vous, où une dame (je ne sais pas ce qu’elle était) a été horrible, des questions gênantes (on ne vous a jamais parlé de contraception, jeune fille ?), un jugement hâtif sur ma sexualité et le fait que mon mec ne soit pas là (genre : il est marié ou quoi ?). Bref. Je devais refaire une écho en urgence et je n’avais plus qu’une semaine pour avorter. Je suis allée faire l’échographie, j’ai dit que c’était urgent. J’avais appelé ma meilleure pote, elle est venue mais elle ne pouvait pas entrer dans le cabinet. Le docteur m’a demandé si c’était pour un avortement, j’ai dit que oui et que je ne voulais rien savoir. Je n’avais jamais fais ça, il a dit qu’on devait faire une écho interne et il m’a rentré son truc sans préparation ni rien. Ensuite, il m’a montré le cœur qui battait et il a dit : “vous voyez ça, ce sont ses bras”. Ensuite, il a fait une blague : “vous êtes sûre que vous ne voulez pas le garder ? Ça paierait nos retraites.” J’ai ri poliment et je suis repartie avec les photos du fœtus qui avait des bras. Et un cœur. Alors que pour moi, deux heures avant, il ressemblait à un pixel sur un écran portugais. J’avais envie de vomir. Ma pote m’a accompagnée à l’hôpital déposer le dossier et on a décidé que le vendredi d’après, j’aurai l’aspiration. J’ai dormi chez mon mec pour ne pas que mes parents me voient partir à 6 heures du matin et je suis allée toute seule a l’hôpital. Ils ont fait le truc et mon mec devait venir à 13 heures. Il est arrivé à 13h40, irrité d’avoir dû se lever. Il m’a fait rentrer à pied de l’hôpital à chez lui (quarante minutes à peu près) parce qu’on n’avait pas le temps pour un taxi. Il m’a laissée sous la surveillance de deux copines et il est parti bosser.
Le lendemain il est parti en soirée et puis on n’en a plus jamais reparlé. Même quand j’ai dû aller aux urgences parce que j’avais des contractions trois jours plus tard, que personne ne m’avait prévenue que ça allait arriver et que j’ai cru que mon utérus se faisait la malle. Heureusement, un médecin m’a fait une échographie interne devant quatre étudiants pour me rassurer.
La deuxième fois j’avais 24 ans, pas de pilule car c’est dangereux pour ma santé et que ma gynécologue ne m’a rien proposé d’autre que le retrait, comme contraception. Capote qui craque avec mon plan cul qui avait une meuf. J’ai pris la pilule du lendemain (mademoiselle, il faut faire attention, c’est pas une solution vous savez ?) mais malheureusement elle ne fonctionne pas sur les filles en surpoids, ce qu’on avait oublié de me dire. Dommage, parce qu’avec le premier avortement si bien vécu, j’avais pris vingt kilos. Donc ça n’a pas marché et j’étais de nouveau enceinte. Mon plan cul était amoureux de moi et il voulait un enfant. Donc je ne lui ai rien dit et je suis allée au planning familial. Je n’ai pas donné mon nom, même pas mon âge. Les filles là-bas ont été TOP. Elles ont fait une écho sur place, j’avais déjà fais la prise de sang parce que les tests qui me mentent, merci mais non merci. J’ai dit que je ne voulais pas savoir, alors elles ne m’ont rien dit, jusqu’à ce qu’elles se sentent obligées de me dire qu’ils étaient deux (les fœtus). J’ai dit que si je n’en voulais pas un, je n’en voudrais pas deux non plus. Elles m’ont demandé où était le père, j’ai paniqué, elles ont cru que le rapport n’était pas consenti, j’étais mal à l’aise. Je ne voulais plus aller à l’hôpital, genre jamais, alors elles ont fait en sorte que tout soit ok dans le dossier pour me donner les médicaments. J’ai pris le premier, et puis j’ai fini par appeler le mec parce que mes copines me disaient que c’était pas top de lui mentir. Il a dit ok. Et j’ai raccroché. J’ai passé la journée du lendemain à souffrir le martyre chez une amie qui avait mis son canapé à disposition, vu que je n’avais pas le droit d’être toute seule. Le sur-lendemain, j’ai fait un malaise au travail, parce que ce n’était pas terminé, mais je ne savais pas que ça allait mettre plusieurs jours. Mon plan cul est devenu mon mec. Des mois plus tard, il m’a dit qu’il avait beaucoup souffert que je ne lui ai pas demandé son avis, qu’il aurait aimé avoir ces enfants avec moi, juste après m’avoir demandé si je n’avais pas menti pour l’obliger à être avec moi (lol).
R.

Dessin au feutre sur fond blanc : une femme à la peau rouge est assise sur ses très longs cheveux bruns qui font comme une montagne sous selle. Elle semble coudre et défaire des fils très emmêlés dans son très gros cœur (gros comme elle), qui lui fait face.
Illustration par N.O.