Le placard j’en suis sortie à l’âge de 19 ans, le jour où j’ai couché avec Vanessa. Je réalisais alors l’un de mes désirs les plus précieux, les plus chéris. Un désir qui n’était pas celui de ma mère, de ma grand-mère, ni celui de mon père, ou du voisin, ou encore d’un pote. C’était le mien, mais ce qui était mien était bien trop haïssable pour être plus longtemps supporté. J’étais atterrée, traumatisée par le bonheur que j’avais laissé entrer dans mon marasme total. Je n’ai plus voulu revoir Vanessa et je suis retournée dans mon placard.

 C’est ainsi que j’ai commencé ma vie de « monosexuelle », c’est-à-dire que, désirant toujours les femmes, je ne couche qu’avec des hommes, toujours saoule, ravagée, parfois par envie, souvent par dépit.

 Pourtant en théorie il n’y a aucun problème, ma famille, mes amis, même certain-e-s de mes collègues sont au courant. Je n’ai jamais hésité à me fâcher avec des personnes qui trouvaient la bisexualité malsaine ou qui me hurlaient que ce qu’il me fallait c’était « une bonne grosse bite ».

 En pratique les choses se révèlent beaucoup plus délicates. Je suis incapable de rester plus de quelques minutes près d’une femme ou d’un homme qui m’attire. Trop belles, trop beaux, tou-te-s bien trop vivant-e-s pour moi. Je me donne l’insoutenable sensation d’être un affront à la vie, moi le petit tas informe et malade. Je disparais, je m’enfonce dans le sol, dans la cendre de mon placard. Alors je bois, me défonce et je baise avec n’importe quel mec qui voudra bien de moi. Je me laisse glisser dans une boue noire de défonce, de sexe, de dégoût, de black-out.

 Les trous noirs… me défonçant essentiellement aux benzodiazépines et à l’alcool, ma vie est parsemée d’oublis. Il m’est arrivé de savoir que j’avais eu des relations sexuelles avec un mec uniquement en apercevant des capotes dans la poubelle. Des nuits, voire des jours entiers lorsque je fais des surdoses, délégués au néant.

 Mais comment me soustraire à cette chaleur unique, comment et surtout pourquoi abandonner ma seule source de douceur ? Il y a quelques mois j’ai arrêté de sortir, de boire, de fumer, de baiser avec tout un chacun. Après presque 15 ans d’alcoolisme mondain et de défonce sévère j’ai soudain eu envie de longues vacances loin de contacts humains divers et malsains.

 La seule chose dont je ne me suis pas passée, ce sont les benzo. Certes, je ne profite plus des ordonnances de la mère d’une amie qui, elle, s’en est sortie. Je ne fouille plus de fond en comble les salles de bain d’ami-e-s ou d’inconnu-e-s dans l’idée de voler quelques comprimés magiques. Je ne mens plus aux médecins. Enfin presque… Je ne me sens pas encore capable de dire à mon psychiatre « ça suffit, j’arrête l’Havlane ». Je me trouve toujours une excuse pour lui en redemander : mes insomnies, mes cauchemars. J’attends le week-end patiemment puis je m’en colle deux ou trois dans la tête… Et enfin le plaisir, le seul, puisque je ne m’en permets pas de plus jolis aux côtés de la femme ou de l’homme que je pourrais approcher, aimer…

 Pourtant, par vanité ou par entêtement, je refuse que mon dernier rapport au monde soit une poignée de comprimés, j’espère encore, j’ai une énergie souterraine, implacable, je suis vivante.

Maïlys F.

Illu - LA TETE DANS LE PLACARD

Illustration par YLY TA.