Je comprends, hein.
En théorie, je comprends.
En théorie, d’ailleurs, je suis totalement d’accord. C’est en pratique que ça ne marche pas.
C’est en pratique que mon corps entier refuse la non-exclusivité. En théorie, oui, je sais, la monogamie n’est pas faite pour durer dans le temps.
Je l’ai vu, je l’ai vécu, et je l’accepte. Mais en pratique, quand j’aime, tout en moi se retourne et se noue à l’idée seule que l’objet de mon affection puisse désirer quelqu’un d’autre que moi.
Vaste contradiction, puisqu’il m’est bien évidemment arrivé de désirer moi-même quelqu’un d’autre que la personne avec qui j’étais en couple. Pourquoi est-ce qu’aimer quelqu’un devrait annihiler tout sentiment envers d’autres ?
Pourquoi je peux avoir plein plein d’ami-e-s mais pas plein plein d’amant-e-s ?
Si j’aime A, que je couche avec B, et que C me plaît assez pour flirter, concrètement, qu’est-ce que ça retire à A ?
Rien. En théorie.

En pratique, je projette toutes mes insécurités, ma peur du rejet, celle de n’être pas – ou de n’être plus, ou d’être moins – aimée, je projette toutes mes relations foireuses passées, et là ça bloque.
Je n’arrive pas à ne pas vouloir être la seule dans les yeux de mes partenaires. Même quand je n’en suis pas amoureuse.
Alors, je vais lui dire « oui, couche avec qui tu veux, protège-toi s’il te plait et ne m’en parle pas, je ne veux pas savoir », et si je commence à m’attacher, mon discours va se muer en « non, ne couche avec personne d’autre, s’il te plait, et si ça arrive, dis-le-moi, et on arrête tout. » C’est crétin.
C’est mon bide.
Alors, vraiment, merci de nous avoir appris toute notre vie que l’amour, le vrai, le seul, l’unique, l’Amour, celui qui a droit à une majuscule, se vit à deux, exclusivement, du début à la fin. Que désirer un autre humain que son/sa promis-e fait de nous un monstre libidineux et malhonnête. C’est très productif, merci, merci. Cela dit, en pratique, je n’ai jamais été avec quelqu’un qui considérait la polyamorie, ou en tous cas la non-exclusivité, comme un modèle de relation envisageable. Peut-être que la clé est là, en fin de compte, dans le fait d’avancer main dans la main avec une personne qui vit comme ça, pour qui la théorie est une pratique, avec qui je pourrai parler de mes insécurités et qui saura me rassurer. En attendant je travaille sur moi-même, parce que toutes ces craintes sont quand même le miroir de quelque chose et que tant qu’à faire, j’aimerais bien les calmer, pour moi, pour mon bide, pour mon sommeil et ma tranquillité d’esprit.

Et puis qui sait, un jour, peut-être que la théorie sera ma pratique.

M.

Dessin au feutre noir sur feuille blanche : une personne blanche aux cheveux bruns devant la figure est agenouillée et tient son cœur rouge entre ses mains croisées.

Illustration par  Crocodile